L’ÉVÉNEMENT
Après treize ans d’absence, l’auteur du Silence des agneaux fait un retour fracassant avec un thriller, certes plus conventionnel que ses précédents, mais avec une héroïne fascinante et un adversaire d’anthologie.
Que serait un tel monstre sans son contrepoint lumineux ?
Il paraît que c’est un méchant. » Difficile, en effet, de l’imaginer devenir ambassadeur de l’Unicef. Ce grand gaillard, « blafard et dépourvu du moindre poil ou cheveu », s’appelle Hans-Peter Schneider. Il vient, dit-on, du Paraguay (malgré son nom aux accents germaniques) et s’est spécialisé dans des activités commerciales d’un genre très particulier. Il procure « des femmes aux travailleurs de mines d’or clandestines de Colombie et du Pérou » – lesquels ont souvent le sang empoisonné par le mercure, ce qui n’est pas vraiment bon pour le trafic d’organes. Un autre pan, justement, du business de ce « féministe » d’un genre particulier : il kidnappe des femmes dont il prélève certains morceaux. Puis il vend ses victimes estropiées à des clubs fétichistes dans le monde entier, modifiant à loisir leur apparence selon le goût de ses clients. Ne faut-il pas savoir optimiser le produit ? L’homme a également investi dans une onéreuse machine de liquéfaction, au procédé « très recherché par les fervents écologistes soucieux d’éviter les émissions de gaz carbonique produites par la crémation ». Une prostituée, Karla, vient d’en faire les frais en alimentant le bain corrosif… Auparavant, notre sordide protagoniste a trouvé le temps de lui prendre ses reins et de les confier à un curieux chargé de mission – lequel, petit creux oblige, a dévoré l’un des deux.
LE MAÎTRE DU THRILLER HORRIFIQUE
Mais dans quel esprit « déviant » peut naître un personnage aussi terrifiant (et génial) que HansPeter Schneider ? Du cerveau dont a déjà jailli l’un des plus grands personnages monstrueux de ces dernières décennies, le psychologue anthropophage et érudit Hannibal Lecter… à savoir le maître du thriller horrifique, Thomas Harris. À près de 80 ans, cet ancien journaliste spécialisé dans les faits divers (en particulier, les crimes de tueurs en série) a révolutionné le genre en quelques livres, ayant aussi bien marqué la littérature noire que le septième art. Quelque peu oublié, son premier roman, Black Sunday (1975), a été porté à l’écran par John Frankenheimer, en 1977. Le grand public le connaît surtout pour sa tétralogie mettant en scène (de manière plus ou moins développée) Hannibal le cannibale. Appartenant désormais à l’imaginaire collectif, cet immense personnage fut campé plusieurs fois par Anthony Hopkins dans Le Silence des agneaux (couronné de l’Oscar du meilleur comédien), Hannibal de Ridley Scott et Dragon rouge de Brett Ratner. D’autres acteurs l’ont également interprété : Brian Cox dans Le Sixième Sens de Michael Mann, première adaptation de Dragon rouge, Gaspard Ulliel dans Hannibal Lecter. Les origines du mal ou encore Mads Mikkelsen pour la série TV Hannibal. Mais, à l’image de l’auguste mis en valeur par le clown blanc, que serait un tel monstre sans son contrepoint lumineux, telle la mémorable inspectrice Clarice Starling ? Pour son retour au roman – après treize ans d’absence – Thomas Harris a choisi d’intituler son nouveau bijou du nom de sa dernière héroïne : Cari Mora. Un de ces personnages féminins forts, plébiscités en ce moment par le public, qui a naturellement ses aspérités, sa complexité et un rude parcours.
UNE INTRIGUE FLORIDIENNE JUBILATOIRE
À 11 ans, cette jeune Colombienne « a été arrachée à son village manu militari et enrôlée dans les FARC, les Forces armées révolutionnaires de Colombie. Les miliciens l’ont entraînée à combattre, l’ont prise en photo comme enfant-soldat de la nouvelle patrie. Après lui avoir inséré l’implant contraceptif réglementaire dans un bras, ils se sont servis d’elle de toutes les manières dont elle pouvait être utile, et elles étaient nombreuses car Cari était rapide, habile et robuste. »
Elle finit par s’échapper, poursuivie par des sicarios sans scrupule, avant de rejoindre les États-Unis, où vivent sa tante Jasmine, sa cousine Julieta et son bébé. Désormais installée à Miami, cette jeune femme de 25 ans, titulaire d’un diplôme d’aide-soignante, multiplie les petits boulots. Ayant toute sa vie rêvée d’être vétérinaire, elle prend soin des créatures à plumes les plus diverses au « centre de préservation des oiseaux marins, la Seabord Station de Pelican Harbor » . Une activité de « service public » , qui ne la protège en aucun cas d’une reconduite à la frontière. Son titre de réfugiée peut, « vu l’atmosphère politique délétère de l’époque, […] être révoqué à tout moment sur simple caprice des autorités ». Elle s’occupe aussi d’une magnifique villa, ayant appartenu au caïd du trafic de stupéfiants Pablo Escobar, qui sert, à l’occasion, de décor pour des films. Mais les équipes présentes sur les lieux sont-elles vraiment là pour réaliser des travellings ? Ou pour le trésor qui s’y cache ? Cari Mora sait-elle quelque chose à ce sujet ? On parle de « trente lingots de la qualité “Good Delivery”, comme ils disent à Londres, douze kilos chacun, numérotés. Et vingt-cinq barres