Lire

LITTÉRATUR­E ÉTRANGÈRE

Kirsty Gunn revient avec un roman où les sentiments amoureux ont la part belle, tout en portant une réflexion subtile sur le pouvoir de la fiction et la force de l’amitié.

- Alexandre Fillon

On n’a pas oublié le choc provoqué par la découverte du large talent de Kirsty Gunn. Née en Nouvelle- Zélande en 1960, la jeune femme avait 33 ans quand elle est entrée en littératur­e avec Pluie. Un lancinant et mince coup d’essai, à la fois solaire et orageux. Le portrait serré de Janey, 12 ans, gamine qui observe, intriguée, le monde bizarre où évoluent ses parents. Ce diamant noir, adapté à la scène et à l’écran, était l’oeuvre d’une prosatrice manifestem­ent appelée à durer. La force et la subtilité de l’écrivaine ne firent que se développer dans ses romans suivants, Histoire aux yeux pâles et Feathersto­ne, comme dans les onze nouvelles du Pays où l’on revient toujours. Styliste poétique dotée d’une rare empathie, d’une manière de capturer dans ses filets les émotions et les blessures, de peindre la lumière des lieux et des êtres, Kirsty Gunn y excelle encore dans Le Garçon et la Mer.

UN SINGULIER PROJET LITTÉRAIRE

C’est une autre musique qu’elle joue dans Le Bikini de Caroline, qui marque son grand retour. Plus léger et plus ludique, son nouveau livre se présente comme « un roman agencé avec une introducti­on et de la documentat­ion supplément­aire ». On pense à Vladimir Nabokov, et non à sa compatriot­e Katherine Mansfield, en naviguant dans ces pages de haute volée. Fille d’universita­ires, Emily Stuart, la narratrice, vit dans un quartier de Londres, aux limites de Hammersmit­h. Spécialist­e de la littératur­e anglaise, elle essaie d’écrire, et s’y emploie en signant des critiques de livres pour un grand journal. Pour arrondir ses fins de mois, elle travaille aussi dans un atelier de sculpture dans l’est de Londres, rédige des notices de catalogues et des articles promotionn­els. « Nin » va avoir l’occasion d’agrandir son champ d’action. La voici, en effet, qui retrouve son « plus vieil ami au monde », Evan Gordonston. Elle l’avait perdu de vue depuis qu’il était parti s’installer aux États- Unis. Désormais, ils s’attablent fréquemmen­t ensemble dans divers pubs plus ou moins huppés, enchaînant les tournées de gin-tonics, agrémentés de chips et de cacahuètes.

Evan, qui navigue comme un poisson dans l’eau dans le monde de la finance, lui explique qu’il est fou amoureux de la blonde et bronzée Caroline Beresford, avec laquelle il est capable de discuter aussi bien de Thomas d’Aquin que d’un champignon spécifique pour le risotto. Le jeune homme est logé dans la maison de famille de la belle, à Richmond, banlieue chic au bout de la District Line. Il est tant épris de Caroline qu’il ne pense à rien d’autre, et demande à Nin de mettre son histoire par écrit. Il lui confie d’abord divers carnets où il a pris des notes, puis il lui narre son aventure pendant qu’elle griffonne un projet littéraire singulier, « leur roman » . Un nouveau chapitre de l’amour courtois que la jeune femme n’a jamais tenté jusque-là. Et qui s’avère vite ne pas être aussi simple que l’imaginait l’apprentie « amanuensis » – « Personne qui écrit sous la dictée ; secrétaire chargé de copier », comme le précise le dictionnai­re. D’autant que Nin s’inquiète considérab­lement de voir maigrir Evan au fil des semaines, de lui trouver le teint de plus en plus blafard et l’aspect de plus en plus douteux. Car Caroline n’est, semble-t-il, pas sur la même ligne que lui…

Le Bikini de Caroline est une vraie prouesse. Kirsty Gunn réussit à composer un roman sur l’amour non réciproque avec une réflexion sur l’écriture et l’amitié. Et, petit plus appréciabl­e, la documentat­ion supplément­aire qu’elle fournit est un pur régal permettant de poursuivre l’aventure.

Une styliste poétique dotée d’une rare empathie

 ??  ??
 ??  ?? HHHII
Le Bikini de Caroline (Caroline’s Bikini) par
Kirsty Gunn, traduit de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Jacqueline Odin, 416 p., Christian Bourgois, 22 €
HHHII Le Bikini de Caroline (Caroline’s Bikini) par Kirsty Gunn, traduit de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Jacqueline Odin, 416 p., Christian Bourgois, 22 €

Newspapers in French

Newspapers from France