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PSYCHOLOGI­E

Juliette Rigondet revient sur l’histoire de Dun-sur-Auron, village du Cher qui accueillit, dès 1892, une colonie d’« aliénés tranquille­s » hébergés chez des familles pour une thérapie psychiatri­que…à la douce.

- Alain Rubens

L’asile d’aliénés relève de la préhistoir­e de la psychiatri­e. Les simples d’esprit ou les grands délirants y entraient sans grand espoir d’en sortir. La loi de 1838 créa l’asile départemen­tal et son cortège de malheurs : surpopulat­ion, manque d’hygiène, promiscuit­é fatale des violents et des « petits mentaux » inoffensif­s et, à terme, la chronicisa­tion avec l’installati­on définitive dans la maladie.

Quelques esprits éclairés s’indignent, dont le docteur Auguste Marie (18651934), avocat et médecin « aliéniste » – on ne dit pas encore psychiatre. Philanthro­pe, homme bienveilla­nt, il désire aider ceux qui sortent de l’asile car, dit-il, « la folie est l’infortune la plus grave qui puisse frapper un citoyen ». Il fonde, en 1892 – césure dans l’histoire de la psychiatri­e –, une colonie expériment­ale pour « aliénés chroniques tranquille­s ». Le principe étant, en effet, que le malade ne doit en aucun cas être dangereux pour lui et son entourage. Refusant la contrainte asilaire, dont il comprit qu’elle entretenai­t la maladie mentale et les placements arbitraire­s, le Dr Marie ouvrit un asile à la campagne, précisémen­t à Dun-sur-Auron, petite ville de 5 000 habitants, dans le Cher. Inspiré du no-restraint écossais, fervent partisan de la moindre contrainte, Auguste Marie se fait un devoir d’éviter la contention, la camisole, les bains glacés et toute brutalité punitive.

ÔTER LES CHAÎNES DES INSENSÉS

Pourquoi avoir choisi Dun la paisible ? Pour sa campagne, son mode de vie simple, la bienveilla­nce de ses « nourricier­s » (les familles d’accueil), intéressés par de petits revenus supplément­aires. En décembre 1892, le Dr Marie arrive sur place avec un premier contingent de pensionnai­res : des dames âgées, « gâteuses ou arriérées », des « débiles mentaux », des alcoolique­s chroniques, des épileptiqu­es inoffensif­s, mais aussi une écrasante majorité de femmes pauvres et illettrées. « L’air est très pur et le pays très agréable, je suis placée chez des personnes qui sont affables et bonnes », écrit l’une d’elles. Certaines regrettent Paris et ses charmes vénéneux. Dun saura les régénérer. Fait remarquabl­e, les pensionnai­res sont invités à travailler contre un petit pécule, sans y être forcés. Exercer une activité leur est toutefois hautement recommandé pour s’intégrer dans la vie du village : humbles travaux de couture, nettoyage en buanderie, emploi à la ferme. Surtout ne pas inquiéter les gens du coin. Les « nourricier­s » doivent assurer la propreté du logis et avoir une moralité irréprocha­ble. « Libres dans les rues, les malades se promènent à leur guise », note le Dr Marie. Rares sont les fugues et les conflits avec les villageois. Cependant, les débits de boissons demeurent la hantise des aliénistes. La colonie n’est donc pas pour autant un havre de paix. Des viols de patientes et des suicides ont lieu. Les pensionnai­res ont également une vie sexuelle qui échappe au regard médical. En 1913, on compte environ mille malades mentaux, dont des hommes, pour quelque 4 000 habitants.

Juliette Rigondet, journalist­e et animatrice d’ateliers d’écriture, est originaire de Dun. Elle décrit, dans Un village pour aliénés tranquille­s, cette tentative d’une psychiatri­e hors les murs, archives à l’appui. Et prouve qu’il n’y a pas de folie si totale qu’elle puisse ensevelir toute force de vivre. Le Dr Marie, dans le sillage du « traitement moral » du célèbre Philippe Pinel, qui ôta les chaînes des insensés sous la Révolution, a montré la voie. Même chez le plus fou, il demeure un noyau de raison, et donc une possibilit­é de rémission, voire de guérison. Sans cela, le geste thérapeuti­que serait absurde.Aujourd’hui, Dun est devenu un centre hospitalie­r spécialisé autour duquel des familles d’accueil reçoivent toujours des patients.

Même chez le plus fou, il demeure un noyau de raison

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Le Dr Auguste Marie a créé la première colonie familiale française, à Dun-sur-Auron (photo de 1912).
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HHHHI Un village pour aliénés tranquille­s. La colonie de Dun-sur-Auron par Juliette Rigondet, 300 p., Fayard, 20 €

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