JOSYANE SAVIGNEAU
Certains l’aiment Jo
Peut-être ne connaissez-vous pas Anita Pittoni (1901-1982). Vous n’êtes pas seuls. Et même si vous avez le souvenir des éditions du Zibaldone, qu’elle a fondées en 1949 pour publier des Triestins, vous aurez plaisir à découvrir ses textes en français, grâce à Samuel Brussell et les éditions La Baconnière. Cette Confession téméraire, rassemblant plusieurs publications et se terminant par un hommage à ses amis Umberto Saba et Roberto Bazlen, rend impatient de découvrir son Journal 1944-1945, qui paraîtra en 2020.
« Qui était Anita Pittoni ? », demande dans sa préface Simone Volpato, le libraire de Trieste qui, depuis 2011, s’attache à la faire connaître. « On pourrait la définir comme une sorte d’hybride triestin de Margherita Sarfatti et de Peggy Guggenheim, capable, contre vents et marées, d’insuffler à ce lieu une respiration littéraire, comme on jette une pierre dans un étang. Cette pierre, ce fut une maison d’édition, Lo Zibaldone, salon où les intellectuels venaient parler et manger. Hors de Trieste, rares sont ceux qui la connaissent : il importe donc de consacrer quelques mots à sa production éditoriale et textile, toutes deux étroitement liées à sa passion sans faille pour la littérature. » Pourquoi donc « textile » ? Parce qu’Anita Pittoni a commencé en tant que créatrice de mode. Mais son goût pour la littérature et son désir de mieux faire connaître Trieste, y compris aux Italiens, l’ont conduite à entreprendre, avec Giani Stuparich et Luciano Budigna, l’aventure de Lo Zibaldone. Elle y a publié son premier livre, Les Saisons (1950), qui forme, avec Promenade sous les armes (1971), cette Confession téméraire composée de 24 textes, quatre parties et un épilogue.
La narration est toujours à la première personne, souvent poétique, très énergique, exposant des réflexions sur sa vie, ses rencontres. Dans « Accostage sur une île éphémère », on croise D.H. Lawrence, de fort méchante humeur, qui travaille tandis qu’Anita confectionne des gants de laine au crochet : « Je dois en faire trois paires avant l’arrivée de l’hiver, pour Saba, pour Giotti et pour Stuparich […]. Il croit me surprendre telle qu’en moi-même, c’est-à-dire peu de chose, puisque je suis capable de m’absorber […], comme s’il n’existait rien d’autre pour moi que ce geste mécanique. Mon visage a exactement l’expression qui lui tape tant sur les nerfs. »
On aurait aimé en savoir plus. Et aussi interroger Anita Pittoni sur sa passion pour Nietzsche, qui revient à plusieurs reprises. Dans « Confession téméraire », qui donne son titre au livre, elle se dit « dénuée de toute raison, incapable de sentiments ». Difficile à croire, surtout quand, dans « Se prendre et se déprendre », elle réfléchit à sa relation avec un homme, et conclut : « Alors je me sens si vivante et si heureuse, et il me vient le désir impérieux de m’allonger dans une prairie, immense et verdoyante, et de regarder le ciel et de sentir sous mes mains l’herbe et les fleurs, une caresse légère et émouvante, comme si je comprenais enfin tout pour la première fois. »
L’hommage à Saba est aussi un beau témoignage d’amitié, mais celui dédié à Roberto Bazlen qu’elle rédige quelques jours après sa mort, le 27 juillet 1965, est très émouvant. Selon Anita Pittoni, ce n’est pas Trieste qui le pleure, mais « la cité des amis de Bobi ». Roberto Bazlen a quitté la ville en 1934, mais il y consacre un texte, Trieste, réédité avec des dessins inédits de Vittorio Bolaffio (1883-1981). Une bonne manière de rester un moment encore dans l’univers d’Anita Pittoni.