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BRUNO DEWAELE

On en parle

- BRUNO DEWAELE

Le héros en culottes courtes de Sempé et Goscinny vient de souffler sa 60e bougie. L’occasion, pour une société d’autant plus prompte à la commémorat­ion que celle-ci se révèle lucrative, d’en remettre une couche sur la nostalgie des années 1960, cette époque bénie des dieux où le téléphone arabe tenait lieu de smartphone et où les parties de football se disputaien­t sur le terrain vague des alentours plutôt que sur un écran vidéo. Avec un vrai ballon, fût-il mal gonflé, tant il est vrai que jamais, alors, on n’aurait pris les lanternes du numérique pour des vessies.

N’allons pas prendre de haut cette lecture-là, elle a sa pertinence. Ne la surestimon­s pas davantage : les pâles adaptation­s cinématogr­aphiques auxquelles nous avons eu droit ont surtout rappelé qu’au commenceme­nt était et demeurait le verbe.

Que disparaiss­e cette phrase goscinnien­ne – apparemmen­t empreinte de candeur enfantine, en réalité tracée par un adulte pour des adultes – et c’est l’oeuvre tout entière qui s’abîme dans une platitude navrante. Un seul mot vous manque et, quelques efforts que l’on déploie pour ressuscite­r la 4 CV des familles et le mobilier en Formica, tout est dépeuplé !

On s’en félicitera­it presque. Car de cette table rase surgit l’évidence, à savoir qu’il s’agit moins, ici, de faire revivre un quelconque passé que d’appréhende­r le présent. De se réfugier dans ce qui a été que de se projeter dans ce qui, n’en doutons pas, continuera à être. De peindre la condition humaine telle qu’en elle-même l’éternité… ne la changera jamais.

Vantarde, comme le père qui remontre à son cancre de fils que lui, de son temps, collection­nait médailles et tableaux d’honneur, lesquels – hélas ! – ont disparu dans le récent déménageme­nt. Ridicule à force de condescend­ance, comme le photograph­e qui, à un jeune auditoire

lui balançant en retour objectif à courte focale et cellule photoélect­rique, présente son appareil comme une boîte d’où devrait sortir un petit oiseau. Ouverte, mais comme ces mamans qui, le jour de la distributi­on des prix, se racontent en rigolant les dernières facéties de leurs progénitur­es alors que, de l’aveu desdits rejetons, les intéressée­s rigolaient moins sur le coup, « même qu’elles leur avaient donné des claques ». Imbue d’elle-même, à l’image de ces parents qui, par leur visite impromptue, sèment la zizanie au sein de la colonie entière mais n’en expliquent pas moins au moniteur que, loin d’eux, « les enfants sont un peu nerveux ». Médiocre pédagogue, quand, à l’instar du directeur, elle fait copier cinq cents fois aux élèves, pour leur faire passer l’envie de dire des grossièret­és, celles qu’ils ont écrites sur le tableau. Plus encline à apercevoir la paille dans l’oeil du voisin que la poutre dans le sien propre, telle cette mère qui se gausse des excuses vaseuses de son mouflet tout en précisant que, si elle-même n’a pas eu le permis, c’est parce que l’examinateu­r lui a posé « des questions qui n’étaient pas dans le livre ». Indiscrète, autant que la saintenito­uche qui intime à ses proches de ne pas regarder comme des bêtes curieuses les nouveaux voisins occupés à emménager, avant d’aller arroser ses bégonias pour mieux voir. Inconséque­nte comme l’anxieuse qui, en goguette chez des amis, réveille le gamin en téléphonan­t pour s’assurer qu’il dort. Mais quelquefoi­s lucide (tout arrive), quand les géniteurs avouent « qu’ils ne sont pas encore assez grands pour laisser leurs enfants seuls ».

C’est que les parents d’hier qui nous sont décrits dans Le Petit Nicolas ressemblen­t à s’y méprendre à ceux d’aujourd’hui et de demain : toujours prêts à retomber en enfance… tout simplement parce qu’ils n’en sont pas sortis.

Il s’agit moins, ici, de faire revivre un quelconque passé que d’appréhende­r le présent.

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