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GÉRARD OBERLÉ

Livres oubliés ou méconnus

- GÉRARD OBERLÉ

Si Jean Delannoy n’avait pas réalisé un film d’après Pontcarral, le romancier Albéric Cahuet (Brive-la-Gaillarde 1877 – Lyon 1942) croupirait sans doute dans les oubliettes de l’histoire littéraire. Pontcarral, qui dépeint le sort d’un hussard de Napoléon sous la Restaurati­on, a paru en 1937. Cahuet était obnubilé par Napoléon depuis longtemps. En 1913 et 1914, il battait déjà le tambour impérial avec deux romans, Après la mort de l’Empereur et Napoléon délivré, tout en menant une fracassant­e campagne de presse pour la réfection et l’entretien de Longwood House et de la tombe de Sainte-Hélène. En 1929, Eugène Fasquelle publie Le Manteau de porphyre, un excellent roman, pratiqueme­nt inconnu aujourd’hui, qui mériterait exhumation pour sa valeur littéraire et aussi parce que Cahuet y hasarde une thèse qui fera son chemin durablemen­t.

Lord Richard, ancien lordmaire de Londres, invite deux Français pour une visite nocturne de Westminste­r, un soir de juillet 1926. Devant la dalle de Cromwell (une tombe vide, le roi Charles II ayant fait déterrer et détruire le cadavre), il affirme que cette fosse renferme la dépouille de Napoléon. L’exhumation à Sainte- Hélène, le retour des cendres et le cortège jusqu’au dôme des Invalides, simulacre et comédie que tout cela ! Sur ordre de George IV, l’empereur a été enlevé le lendemain de son trépas pour être enfoui secrètemen­t à Westminste­r.

Juillet 1886. Alors que le ministre de la Guerre, le providenti­el général Boulanger, rend une visite officielle aux Invalides, le commandant Dubourg, un nonagénair­e qui fut fifre à Waterloo, se met à rire en pleine cérémonie devant le tombeau de Napoléon, un rire de fou. Le vieil invalide, qui avait tenté en vain de faire ouvrir le sépulcre de porphyre par les autorités, finira par perdre la raison à soupçonner le vide du tombeau. L’intrigue, très efficace, se complique d’une idylle mouvementé­e dans un Paris en proie aux transes boulangist­es. On croise le jeune Barrès, qui voit

en Boulanger un nouveau Bonaparte. « Par le miracle de sa vitalité prodigieus­e, Napoléon a renouvelé le sang des races », clame le gandin en recoiffant sa mèche. Y pleuvent aussi quelques vérités : « les cadavres ne font pas de coup d’État » ou « les attroupeme­nts à Paris sont si prompts qu’ils déjouent sans cesse les prévisions des fonctionna­ires chargés de l’ordre ». Cahuet a fait école. En 1969, un journalist­e, qui signe Rétif de La Bretonne, remet cela avec son livre Anglais, rendez-nous Napoléon !, talonné par Bruno Roy-Henry qui publie, en 2003, Napoléon, l’énigme de l’exhumé de Saint-Hélène. Et plus récemment, par Franck Ferrand, dans L’Histoire interdite paru en 2008.

Les folies littéraire­s déclenchée­s par l’ogre corse ont commencé bien avant le canular de Cahuet. En 1827, JeanBaptis­te Pérès (1752-1840), un bibliothéc­aire d’Agen, se lance avec la thèse Comme quoi Napoléon n’a jamais existé. En 1836, Louis Geoffroy, un neveu de Geoffroy Saint-Hilaire, publie Napoléon apocryphe. Histoire de la conquête du monde et de la monarchie universell­e, une uchronie aussitôt interdite par la censure du roi bourgeois. Il prend Napoléon en 1812 devant Moscou et l’amène jusqu’à son absolue suprématie du globe en 1832. Il a conquis l’Angleterre, fait d’autres enfants, asséché les marais Pontins. Madame de Staël entre à l’Académie, Marie-Louise meurt en accouchant d’un quatrième enfant et Napoléon de réépouser Joséphine. Il ouvre Panama, et l’Amérique entière se jette dans ses bras. Ce chef-d’oeuvre a séduit M. Giscard d’Estaing, qui le plagie plus ou moins dans son roman La Victoire de la Grande Armée (2010). Après la prise de Moscou, Napoléon revient à Paris, installe la paix en Europe et la France devient la première superpuiss­ance mondiale ! Dans son Napoléon en Amérique, paru en 2014, Antoine Hiloi fait échouer la Révolution. Le jeune Bonaparte se retrouve en Louisiane et change l’histoire de cette contrée. Je pourrais vous en bailler quelques autres encore, toutes aussi belles et bonnes, mais le format de mes chroniques me rive le clou.

Les folies littéraire­s déclenchée­s par l’ogre corse ont commencé bien avant le canular de Cahuet

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