Lire

Là-bas si j’y suis

Inspirée par sa propre vie, Rasha Khayat raconte la douleur et la richesse d’être partagé entre deux cultures, dans un monde toujours plus divisé.

- Laëtitia Favro

J «e pars pour un pays dont je condamne la politique dans des pétitions en ligne que je signe toutes les deux ou trois semaines. » Alors qu’il s’apprête à embarquer pour Djeddah afin d’assister au mariage de sa soeur Layla, Basil se remémore son départ brutal de ce pays au goût de miel et de dattes pour la froide Hambourg, où il vit désormais. Nés d’un père saoudien et d’une mère allemande, Layla et Basil ont grandi entre deux cultures. Si Layla choisit de retrouver la patrie de son père malgré l’incompréhe­nsion de ses proches, Basil porte encore en lui la déchirure de l’exil. « La trajectoir­e de mes ancêtres, la frénésie de leurs déplacemen­ts, sous-tend le dilemme de ma propre existence – partir ou rester. » Devant l’accueil chaleureux que lui réservent oncle Khaled, tante Basma et ses cousins, et face à la déterminat­ion de sa soeur qu’il n’a jamais connue aussi épanouie, Basil révise ses préjugés tout en se confrontan­t aux contradict­ions de la société saoudienne contempora­ine, où la place des femmes est l’objet de multiples controvers­es.

Elle- même imprégnée des cultures allemande et saoudienne,

Rasha Khayat exprime avec franchise et bienveilla­nce la douleur d’être partagé entre deux mondes aussi divergents que la vieille Europe et le Moyen-orient, qu’elle parvient, grâce à la fiction, à faire dialoguer sans céder aux fantasmes et habituels stéréotype­s.

UN PIED DE NEZ AUX DISCOURS ÉTABLIS

À travers la personnali­té et les choix de Layla et Basil, tous deux confrontés au même déracineme­nt, l’auteure suggère l’éprouvante nécessité de composer avec un double héritage, que nombre d’idées reçues présentent comme une chance, et la nostalgie d’un ailleurs controvers­é : « On part toujours du principe que son propre camp est le meilleur et que nous devrions préférer la grisaille, les gravillons, les haies bien taillées et leurs petits jardinets. » Comme un pied de nez aux discours établis, Notre ailleurs est d’une brûlante actualité, quand tant d’hommes et de femmes se voient contraints de fuir une patrie, qui n’assure plus leur sécurité, pour migrer vers un Occident lui-même en crise d’identité. Courageux, nécessaire et d’une désarmante sincérité.

 ??  ?? Femmes dans les rues de Riyad, la capitale saoudienne.
Femmes dans les rues de Riyad, la capitale saoudienne.
 ??  ?? HHHII Notre ailleurs (Weil wir längst woanders sind) par Rasha Khayat, traduit de l’allemand par Isabelle Liber, 208 p., Actes Sud, 20 €
HHHII Notre ailleurs (Weil wir längst woanders sind) par Rasha Khayat, traduit de l’allemand par Isabelle Liber, 208 p., Actes Sud, 20 €

Newspapers in French

Newspapers from France