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AMÈRES VARIATIONS

Diane Brasseur se penche sur son histoire familiale, prétexte à construire une grande fresque romanesque sublimée par de magnifique­s portraits d’hommes et de femmes.

- Laëtitia Favro

Un train entre Bâle et Berne. Dans la voiture 9, une jeune femme est assise avec ses deux fils, l’un blond comme les blés, potelé comme le bébé Cadum de la réclame, l’autre plus chétif, une moue boudeuse sous ses boucles noires. Au bout du voyage, des larmes et des cris les attendent : parce qu’elle a choisi de quitter son époux pour rejoindre sa Grèce natale, Koula n’a d’autre choix que d’abandonner l’un de ses deux enfants. « Vous ne pouvez pas tout prendre », lui a laissé entendre sa bellefamil­le. Koula confiera donc Georgely, « le plus suisse de ses enfants et le plus robuste », à Paul Peter K, l’époux volage, avant d’embarquer avec Bruno K pour la Grèce et pour une nouvelle vie.

SECRETS DE FAMILLE

À l’origine de cette séparation cruelle inspirant son titre au troisième roman de Diane Brasseur, il y a la découverte de la correspond­ance de Bruno, l’oncle de l’auteure, et cet aveu : « Au fond du coeur, je porte encore cette secrète blessure que maman connaît bien, cette souffrance de ne pas avoir pu et de savoir que je ne pourrai jamais devenir un artiste. » Pourquoi cet homme brillant n’a-t-il pu réaliser son rêve ? La « partition » originelle est- elle la responsabl­e de ce destin avorté ? Remontant le fil de l’histoire familiale, Diane Brasseur conjugue son héritage à la fiction dans ce qu’elle a de plus romanesque, et retrace, de la Grèce des années 1920 aux rives du lac Léman un demi-siècle plus tard, le parcours de ses aïeux, disloqués « comme les statues brisées du Parthénon auxquelles il manque un bras, une jambe ou une tête ». Au coeur de ce drame irradie pourtant la figure solaire d’Ekaterina, dite Koula, incarnatio­n de la Grèce et du tempéramen­t méditerran­éen qu’un premier mariage avec le représenta­nt en porcelaine Paul Peter K ne satisfait guère. À Langenthal, ville proprette du canton de Berne où le jeune couple emménage, Koula passe le chiffon pour s’occuper, guettant chaque soir le retour d’un mari de plus en plus distant, et dont les absences répétées portent en germe le malheur de Bruno K, qui naît syphilitiq­ue. Si l’arrivée de l’enfant, bientôt suivie de celle de son frère Georgely, rapproche un temps le couple, la jeune mère suffoque et accepte, pour regagner sa liberté, le terrible marché que lui propose sa belle-famille. À son retour en Grèce, parmi les paysages grandioses

POUVOIR ROMANESQUE

Ainsi, la partition est également musicale, trait d’union d’une fratrie morcelée, d’une famille recomposée dont notre époque n’a pas inventé le modèle. Si Diane Brasseur reconnaît être l’héritière d’une histoire complexe, elle a conscience que « dans toutes les familles, il y a des correspond­ances et des disputes dans les placards ». En ayant recours à l’imaginatio­n, en s’appuyant sur son expérience de scripte pour le cinéma, l’auteure immortalis­e la trajectoir­e d’hommes et de femmes qu’elle n’a rencontrés qu’à travers leurs écrits, dans un récit échevelé qui représente aussi le plus beau des hommages. Hypnotique et poignant, La Partition témoigne du pouvoir du romanesque à répondre à des questions que tout le monde est susceptibl­e un jour de se poser, et «à combler certains silences » . des Météores, Koula se lie avec celui que les villageois nomment « Monsieur Hyacinthe » , un expatrié belge de trente ans son aîné, qui devient son amant et le père de son troisième enfant, Alexakis. Unis par une même passion de la musique qui les aidera à traverser la Seconde Guerre mondiale, les demifrères ne rencontrer­ont pas, néanmoins, le même succès : quand Alexakis devient un violoniste reconnu, la vie de Bruno K ressemble, quant à elle, « à un quai de gare ».

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 ??  ??  La Partition par Diane
Brasseur, 448 p., Allary, 20,90 €
 La Partition par Diane Brasseur, 448 p., Allary, 20,90 €

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