TRAFIC D’EFFLUENCES
Taylor Brown poursuit son exploration de l’Amérique rurale dans ce second roman, noir et puissant, où se démènent des personnages en proie à leurs démons.
Caroline du Nord, 1952. Parmi les poussières des usines textiles qui les avalent le matin et les recrachent le soir, « mûrs pour un bon coup de gnôle », les habitants de Howl Mountain se remémorent leur vallée, autrefois prospère, puis inondée par des promoteurs pour produire de l’électricité. Rescapé de la guerre de Corée, Rory Docherty convoie dans son monstrueux coupé Ford le précieux tord- boyaux qu’il revend aux bars du coin pour le compte d’Eustace Uptree, l’un des barons de la contrebande locale et amant occasionnel de sa grand-mère Ma, une ancienne prostituée reconvertie en rebouteuse grâce à sa connaissance des plantes. Mais le jour où le shérif du comté, jusqu’alors « bienveillant » en échange de quelques billets, décide de changer les règles du jeu sous la pression croissante des trafiquants, Rory devient la cible d’obscurs règlements de comptes, comme l’avait été sa mère quelques mois avant sa naissance. Animé du désir de la venger et de sauver son fonds de commerce, Rory s’élance au volant de son bolide dans les méandres de Howl Mountain, dont les esprits sylvestres semblent prêts à se déchaîner.
Les lecteurs de Ron Rash le savent : à vouloir façonner la nature à son image – corrompue –, l’homme s’expose aux foudres de ses dieux. Piégés entre l’usine et les trafics illégaux, les courses automobiles et les cérémonies religieuses teintées de sorcellerie pour compléter l’ivresse de la bouteille, les personnages des Dieux de Howl Mountain, qui prennent vie sous la plume envoûtante de Taylor Brown, portent en eux la malédiction d’une terre avilie qui se retourne contre eux. De l’inquiétante rumeur de la forêt au ronflement des moteurs frelatés, seule la voix de l’inoubliable Ma, campée dans son rocking-chair un fusil dans les mains, semble garder raison : « Il ne faut jamais souffler de fumée sur un nid de serpents. »