Lire

TOUT ANGE EST TERRIBLE

Simone Weil et Joë Bousquet ont entretenu une courte mais très intense correspond­ance, à l’image de ces deux personnali­tés d’exception.

- Philippe Chevallier

Décennie après décennie se confirme la présence, dans notre actualité, d’une philosophe dont la postérité n’était pourtant pas gagnée tant cette femme « maigre comme un sifflet sous un béret énorme », pythie binoclarde et asexuée, échappait a priori aux trompettes de la renommée : Simone Weil (1909-1943). Parce qu’elle fut à la hauteur d’un siècle qui n’était pas le sien, cette lectrice d’Homère et des Évangiles, juste et résolue en tous ses combats, morte d’épuisement au service de la France libre, est de ces très rares penseurs qui parlent à toutes les souffrance­s et habitent tous les siècles. Alors que paraît chez Plon la réédition d’un recueil posthume, La Pesanteur et la Grâce (1947), légèrement fantaisist­e en sa compositio­n, Florence de Lussy et Michel Narcy viennent d’accomplir un travail scientifiq­ue remarquabl­e pour notre compréhens­ion de ces moments où la pensée joue son va-tout.

RENCONTRE AU SOMMET

1942. Sur le point de partir pour New York, Simone Weil rend visite au poète alité, Joë Bousquet, condamné à l’immobilité par une balle allemande reçue au printemps 1918. Le lieu : une petite chambre à Carcassonn­e, volets fermés, ambiance opiacée.

Suit une brève correspond­ance dont les éditions Claire Paulhan publient la première version complète, richement annotée et illustrée. Si les cinq premières lettres étaient connues, les

deux dernières ont été

retrouvées à l’univer

sité du Texas (Austin).

Au programme de Correspond­ance 1942 :

Dieu, l’Être, l’amour,

la pureté. Comment ne

pas être troublé, ravi, quel que soit l’état où nous surprendro­nt ces lettres, par des phrases comme : « Il est donné à très peu d’esprits de découvrir que les choses et les êtres existent. » Conversati­on sur les cimes, tutoiement de deux âmes sans compromis qui finiront par ne plus se parler, car l’amitié n’a pas tenu les exigences. « Je vais vous dire quelque chose de dur à penser. » Assurément, Simone a été trop loin quand elle écrivit au poète cloué au lit que l’on pouvait se complaire dans sa souffrance. Mais on aurait tort de voir dans ces mots de trop un simple dérapage alors que bien plus se joue. L’excès fait surgir une vérité plus grande. La pensée de Simone Weil a toujours été sacrificie­lle : penser jusqu’au bout de l’aporie, quitte à déplaire, à violenter l’amitié, à être la demi-erreur sans laquelle la vérité restera à demi cachée. Raison pour laquelle l’alcôve de Carcassonn­e a la hauteur des grandes sommes philosophi­ques. Et ce livre, celle de notre présent.

 ??  ??
 ?? HHHHI
Correspond­ance
1942. « Quel est donc ton tourment ? » par Simone Weil et Joë Bousquet, 200 p., Claire Paulhan, 27 € ??
HHHHI Correspond­ance 1942. « Quel est donc ton tourment ? » par Simone Weil et Joë Bousquet, 200 p., Claire Paulhan, 27 €
 ??  ?? HHHHI La Pesanteur et la Grâce par Simone Weil,
268 p., Plon, 17 €
HHHHI La Pesanteur et la Grâce par Simone Weil, 268 p., Plon, 17 €

Newspapers in French

Newspapers from France