Le tunnelling process
« Il m’a fallu une année de tâtonnements pour découvrir ce que j’appelle mon procédé de sape, qui me permet de raconter le passé par fragments, quand j’en ai besoin » (Journal, 15-10-1923). En s’efforçant de se tenir au plus près de ce que ressentent effectivement les personnages mis en situation, le récit est régulièrement interrompu par des réminiscences du passé qui en perturbent le fil par un retour en arrière subit. Selon un dosage subtil propre à chaque protagoniste, le monde de l’action et celui de l’introspection ne font plus qu’un, comme dans chacune de nos vies. L’originalité de Mrs Dalloway tient à ce que le narrateur ne se focalise pas sur une conscience, mais multiplie les points de vue et les fond au sein de la narration. Ainsi, parfois sans s’en apercevoir, le lecteur « passe », comme un fondu enchaîné au cinéma, d’une conscience à l’autre, quand les personnages se croisent ou lorsqu’ils assistent à une même scène dans les rues de Londres – un avion publicitaire traçant des lettres dans le ciel, par exemple. Grâce à ce procédé, la surface des choses et l’exploration en profondeur des consciences intimes s’agencent par-delà l’apparent désordre du stream of consciousness des personnages. Ainsi Virginia Woolf « creuse des grottes merveilleuses derrière [ses] personnages », ajoutant que « [ces] grottes doivent communiquer et que chacune accède à la lumière dans l’instant présent ».