Certains l’aiment Jo
Paul Morand (1888-1976) était, on le sait, très « mal- pensant » . Son admiration pour Proust – qui avait préfacé Tendres stocks
en 1921 – ne l’avait évidemment pas guéri de son antisémitisme et de son homophobie. Il a été ambassadeur de Vichy. Il n’était pas avare de méchancetés (voir son Journal inutile, Gallimard, 2002, et son extraordinaire correspondance avec Chardonne, en cours de publication depuis 2013). Il n’était pas non plus féministe, mais a séduit bien des femmes, y compris féministes. Sachant tout cela, on peut s’abstenir d’ouvrir ses livres, comme cela devient la mode à une époque où l’on voudrait que tous les grands artistes soient de « chics types ».
Si l’on ne partage pas ce désir de tout simplifier au nom d’un supposé confort de pensée, pour l’été, deux livres de Morand sont disponibles dans la collection « Bouquins », 2 000 pages magiques. Pourquoi ne pas garder pour le mois d’août Hiver caraïbe et autres voyages,
qui contient onze titres. Et commencer dès maintenant Bains de mer, bains de rêve et autres voyages,
qui, à côté d’oeuvres connues – Rien que la terre, Air indien –, rassemble des textes épars, introuvables ou inédits, chroniques, reportages, préfaces. Réunis en six parties – introduites avec beaucoup de pertinence par Olivier Aubertin, qui a établi cette édition préfacée par Nicolas d’Estienne d’Orves –, ces voyages sont un enchantement.
« Morand est un tireur d’élite »,
écrit Nicolas d’Estienne d’Orves.
Un visionnaire aussi : « Un jour viendra peut- être où il n’y aura plus d’Orient et d’Occident, mais une seule misérable nation terrestre interrogeant l’espace planétaire à coups de signaux lumineux. » En attendant, parcourons la planète, de Macao à Marseille, de Manille
à Malte, en passant par Palmyre, la Grèce et beaucoup d’autres « ailleurs ». Vite, bien sûr, car « la vitesse est un court délire, plus bref que l’amour ». « Aimons la vitesse, qui est le merveilleux moderne, mais vérifions toujours les freins ». On aurait envie d’aligner toutes les citations relevées au cours de ce périple sur plusieurs continents, mais il faut peut-être laisser chacun trouver les siennes. Toutefois, pour ceux qui partagent avec Morand la passion de la natation, voici un avant-goût : « J’ai vécu, par nécessité, éloigné pendant quatre ans de l’océan : ce fut une continuelle gêne […]. Les montagnes sont des vagues, mais qui ne retombent pas ; elles sont figées, conventionnelles ; elles nous rappellent sans cesse leur âge ; la mer n’a pas d’âge ; couvertes de rides, elle les perd aussitôt ; c’est un pays sans angles. » Alors, une petite promenade sur « les plages de l’Ouest » ?
« Rochers de Meschers, devant une eau couleur de jade de fouille, sous un ciel livide. Sainte-Radegonde de Talmont, admirable église romane à trois arcs et triple voussure, notre Torcello français. » Impossible d’éviter Venise. On connaît le mythique
Venises de 1971, mais on découvre ici d’autres Venise, au gré de divers séjours de Morand. Ainsi en 1927, se revendiquant « barbare », il affirme préférer « la Venise vivante » et,
« au silence des canaux, le tintamarre du Lido » . New York, bien sûr, autre ville fascinante, et Manhattan où « l’océan retentit sans cesse des appels de sirènes, du cri rauque des remorqueurs ».
En lisant Morand, et à défaut de pouvoir voyager autant, vous ne saurez pas quelle destination choisir. Mais n’oubliez pas Paris, « du
xiie siècle à la IIIe République » – long texte de 1971. « Paris se dilate, éclate, éblouit. » Morand aussi.