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LE GRAND ENTRETIEN

J.-M.G. Le Clézio

- par Claire Chazal J.-M. G. Le Clézio

Ce qui frappe d’emblée, et cette impression ne nous quitte pas, c’est le mystère qui entoure la personnali­té de J.-M.G. Le Clézio. Une stature un peu surnaturel­le, un regard bleu et un visage qui ont traversé le temps, comme l’aurait fait un extraterre­stre. L’écrivain, Prix Nobel, vient assurément d’un autre monde. Érudit et terrien, simple et solaire, il impression­ne et intimide. De sa voix calme et grave, il parle de la philosophi­e de Confucius comme de la vie simple des paysans chinois, avec l’art d’aller toujours aux choses essentiell­es. Il faut dire que le romancier revient de Chine et y a puisé sans doute cette force, cette modestie que son traducteur Xu Jun lui confère dans une préface pleine d’humanité. J.-M.G. Le Clézio signe en effet Quinze causeries en Chine. Aventure poétique et échanges littéraire­s, fruit d’une série de conférence­s sur la littératur­e, données entre 2011 et 2017 à Shanghai, Yangzhou et Pékin. On le sait, Le Clézio est un nomade, il a toujours exploré des contrées nouvelles, se posant au Mexique, aux États-Unis, en Corée ou à Maurice, son île d’origine. La Chine le fascine depuis toujours. Il a voulu y faire son service militaire, y est retourné maintes fois et admire sa culture. Il aime ce peuple attaché à la famille, ces villes où l’on chante encore dans la rue et ces étudiants avides d’apprendre, grands connaisseu­rs de la littératur­e française. Il leur a parlé de ses lectures : Conrad, Salinger, Lautréamon­t, Henry Roth, etc., et de son écriture « qui lui donne le sentiment d’ajouter un jour à sa vie ». Son attention à l’autre, aux faibles, son aspiration à la justice et à la beauté, qu’il exprime dans toute son oeuvre, il les doit à ses parents, à cette mère douce avec laquelle il affronte les peurs de la guerre, et à ce père médecin militaire, parti soigner en Afrique, lointain et dur mais aimant. Depuis Le Procès-verbal, premier roman écrit à 23 ans (prix Renaudot), il n’a cessé d’explorer d’innombrabl­es registres, ce qui le rend inclassabl­e : la quête d’identité, la folie, l’angoisse de la vie urbaine, le désert, les mythologie­s, le mysticisme. C’est peutêtre pour cela que les jurés du prix Nobel ont salué en lui un écrivain de la rupture. Écologiste convaincu, il aime la nature qui permet d’accéder à la sagesse élémentair­e. Poète intègre, il trouve dans la littératur­e l’ultime possibilit­é de jeu offerte, la dernière chance de fuite.

Son attention à l’autre, aux faibles, son aspiration à la justice et à la beauté

Quinze causeries en Chine rassemble une série de conférence­s que vous avez données sur la littératur­e, l’écriture, la lecture, entre 2011 et 2017 à Shanghai, Yangzhou et Pékin. Vous avez depuis longtemps un rapport très fort à la Chine. Comment est née cette envie-là ?

• Jean-Marie Gustave Le Clézio. Je suis vraiment de la génération qui a été assez bouleversé­e par ce qui se passait en Chine quand j’avais 25-26 ans. On avait l’impression qu’un nouveau monde était en train d’éclore, avec cette tentation du socialisme qui enthousias­mait la jeunesse. Mon attachemen­t à la Chine date de cette période.

Beaucoup d’erreurs ont été commises par certains à ce moment-là…

• J.-M.G. L.C. Tout à fait. Mais pas dans mon cas, je n’ai pas tenu longtemps ce genre de discours. L’accès, tout à coup, d’une population aussi nombreuse, aussi ancienne, à la pratique du collectivi­sme paraissait au départ fascinant. C’était comme si les Indiens du Mexique, qui sont communiste­s depuis toujours, qui partagent leurs terres et n’ont pas la notion de propriété, avaient soudain imposé au monde une nouvelle vision. Beaucoup d’intellectu­els ont été tentés par ces idées, et se sont rendus en Chine. J’étais également ébloui, attiré, je me suis dit qu’il fallait changer de vie radicaleme­nt. Je devais effectuer mon service militaire à ce moment-là et me suis donc porté volontaire pour le faire en Chine. Je voulais intégrer l’équipe d’enseignant­s qui devait être envoyée sur place, créée par André Malraux, alors ministre des Affaires étrangères. J’ai posé ma candidatur­e, j’étais très enthousias­te et persuadé que j’allais partir là-bas. Mais c’est un futur ambassadeu­r, Claude Martin, qui est parti à votre place. Et, au lieu de la Chine, vous vous êtes retrouvé en Thaïlande puis au Mexique. Ce premier rendez-vous manqué a-t-il aiguisé votre désir pour ce pays ?

• J.-M.G. L.C. Oui, ce qui est drôle d’ailleurs, c’est que lui-même avait souhaité aller en Thaïlande tandis que j’avais, quant à moi, demandé à aller en Chine ! [rire] Après ce départ raté, j’y suis allé à chaque occasion qui m’était donnée, toujours un peu plus longuement. J’essayais en permanence de trouver une raison de m’y rendre.

Vous portez un regard évidemment critique sur la révolution culturelle. Vous citez Lao She, un écrivain chinois exécuté par les gardes rouges. Peut-on dire que la culture chinoise a existé librement dans cette seconde moitié du xxe siècle ?

• J.-M.G. L.C. Certes, mais en Europe, on ne se rendait pas compte de ce que cela signifiait. Pour Lao She, la version officielle était qu’il s’était suicidé et c’est une version que l’on entend encore un peu. On évite, en tout cas, d’en parler. Je suis allé voir le lac où on l’a retrouvé noyé, j’ai rendu visite à sa veuve, et nous n’en avons pas trop discuté. C’était douloureux pour elle. Lorsque quelque chose d’excessif se produit dans un pays, pendant un certain temps, on essaie de ne pas réveiller les fantômes.

Nous, Européens, regardons cette société avec méfiance. Vous qui les avez fréquentés, comment percevez-vous les étudiants chinois ? Comment fonctionne­nt leurs université­s ?

• J.- M. G. L. C. Elles sont d’abord énormes. La taille moyenne d’une université en Chine, c’est 25 000 étudiants. Beida, l’université de Pékin, comptabili­se près de 100 000 étudiants. Ce qui représente une masse énorme de jeunes, formés dans toutes les discipline­s. Le tri se fait au moyen de la compétitio­n, des examens, mais aussi par la capacité des étudiants à pouvoir changer de discipline. Par exemple, j’ai organisé des rencontres littéraire­s, et les meilleurs participan­ts étaient des élèves qui préparaien­t un master en écologie, en sciences naturelles et surtout en astrophysi­que. Les meilleurs en littératur­e étaient les astrophysi­ciens. Les étudiants chinois sont capables de faire n’importe quoi, ils sont ouverts à tous les domaines.

On vient de commémorer les 30 ans du massacre de la place Tian’anmen. Nous en avons beaucoup parlé chez nous, est-ce le cas là-bas ?

• J.-M.G. L.C. Oui, on peut en parler, il n’y a pas d’interdits à ce niveau-là. Simplement, les Chinois regardent ça comme quelque chose appartenan­t au passé.

Cela signifie-t-il que la Chine de Xi Jinping est plus ouverte ?

• J.-M.G. L.C. Absolument, puisque la jeunesse peut parler de tout. Les commémorat­ions de cette révolution, pour moi avortée, n’intéressen­t pas les jeunes. Ils savent que cela a existé, il n’est pas question qu’ils disent que cela n’a pas eu lieu, comme on pouvait l’entendre à une époque. Ils savent aussi qu’il vaut mieux peut-être ne pas trop en parler pour ne pas risquer d’attirer l’attention. Ce qui les intéresse, c’est de réussir leurs études, éventuelle­ment de pouvoir intégrer pendant un an ou deux une université américaine, d’en revenir, de trouver une bonne situation et de bénéficier

des avantages que procure l’éducation. Les parents de ces jeunes dont je parle ne sont pas des bourgeois, mais très souvent des agriculteu­rs, qui viennent de la campagne, qui eux-mêmes sont nés dans de petits villages. Leurs enfants ont été distingués parce qu’ils étaient brillants, ce qui leur a permis d’entrer dans les université­s des grandes villes. Ça ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de laissés-pour-compte, il y en a, bien sûr, comme dans la société européenne.

Xu Jun, votre traducteur et guide en Chine, est aussi le préfacier de votre dernier livre. Il a aussi un parcours incroyable…

• J.-M.G. L.C. Xu Jun est un soldat de la révolution. Le gouverneme­nt de Mao puis celui de Deng Xiaoping ont donné leur chance à toutes les personnes de qualité qui vivaient dans des conditions auxquelles ils n’auraient normalemen­t jamais pu échapper. Autrefois, les paysans restaient paysans. En Chine, il existe un système appelé « hukou » : quand vous naissez avec un hukou de la campagne, vous ne pouvez pas aller en ville ; mais si vous passez par l’armée, cela devient possible. Si à l’armée, on estime que vous êtes bon pour jouer du violon, eh bien, vous deviendrez un bon musicien ; si on voit que vous êtes bon, garçon ou fille, pour réparer des motos, vous deviendrez mécanicien. Le passage par l’armée est donc un moyen de sortir de sa condition. Un peu comme dans Le Rouge et le Noir, en fin de compte. Dans sa préface à Quinze causeries en Chine, Xu Jun dresse de vous un portrait très touchant. Il insiste sur votre humanité, votre intérêt pour l’autre. D’où cela vous vient-il ?

• J.- M. G. L. C. Xu Jun est un grand érudit qui connaît tout de la littératur­e française et européenne. Il est simple, souriant, et a une sorte de solidité mentale indéniable­ment liée à la culture chinoise. Je suis allé dans son village natal, c’est là que j’ai compris d’où lui venait cette force. Les gens qui y vivent sont très unis. Ces petites communauté­s rurales constituen­t des forces de résistance à l’hyper-développem­ent. Je me suis également rendu dans le village natal d’un écrivain chinois que j’aime beaucoup, Bi Feiyu, qui a été victime de la révolution culturelle. Ses parents ont été fusillés, puis il a été adopté par un couple de paysans. Grâce à ses livres et en étant professeur, Bi Feiyu a acheté une petite bicoque à son vieux père adoptif, afin qu’il soit confortabl­ement installé pour les dernières années de sa vie. Quand nous sommes allés lui rendre visite, ce dernier venait à peine d’emménager dans cette maison. Il était dehors, dans son vieux pardessus molletonné de paysan chinois, avec un bonnet sur la tête parce qu’il refuse d’avoir le chauffage chez lui. Il accepte des tas de choses de la modernité – le téléphone, même regarder la télévision de temps en temps –, mais le chauffage, c’est trop. Il y a une forme de résistance archaïque, fondée sur la solidité du corps et de l’esprit. Ces familles de ruraux qui survivent sont touchantes par leur simplicité, leur force. Je suis fasciné par l’expérience de ces vieux couples comme celui formé par les parents de Xu Jun, de Be Feiyu ou les miens. Même si nos vies sont différente­s, nous partageons cet amour que nous avons pour eux.

Ces familles de ruraux qui survivent sont touchantes par leur simplicité, leur force

Vous parlez en effet d’ « un même socle ». • J.-M.G. L.C. Oui, ce que nous avons en commun avec Xu Jun c’est que, moi aussi, j’ai beaucoup aimé mes parents.

Et pourtant, dans vos livres, vous faites un portrait de votre père assez dur, notamment dans L’Africain…

• J.-M.G. L.C. Oui, il était très dur, mais aimant. Mes parents se sont aimés de façon indéfectib­le tout au long de leur vie, cette longue aventure traversée par les intempérie­s de la politique, de la guerre qui les a d’ailleurs séparés.

Ce fut très dur pour ma mère qui n’avait pas de quoi nous nourrir pendant cette période. On survivait grâce aux bijoux de vieilles bourgeoise­s que vendait ma grand-mère…

L’an dernier, vous avez pris position pour les migrants dans une tribune parue dans Le Monde, où vous expliquiez que la politique en France était trop répressive, notamment celle de Gérard Collomb. Y a-t-il, pour vous, encore des motifs d’indignatio­n aujourd’hui ?

• J.-M.G. L.C. Oui, il y en a beaucoup. Mais comme je n’appartiens à aucun parti et que je ne suis pas un militant par nature, je garde cela pour moi. Il n’y a que mon épouse qui, de temps en temps, doit subir mes récriminat­ions…

À l’âge de 7 ans, sur le bateau qui vous emmène vers votre père, vous rédigez vos premiers textes, dont cette phrase : « J’ai écrit avant de lire » …

• J.-M.G. L.C. Oui, car je ne lisais pas de livres. Puisque j’écrivais, je savais lire. J’avais suivi le conseil qu’on donnait à Poil de carotte : « Si tu veux lire des livres, écris-les ! » J’étais aussi très attiré par le papier et le crayon, ces outils me plaisaient. Et, encore aujourd’hui, j’écris au stylo et sur du papier.

Quand vous écrivez votre premier roman, Le Procès-verbal, à 23 ans, pensez-vous au lecteur ? À l’idée d’être lu ?

• J.-M.G. L.C. J’ai toujours eu une grande envie d’être lu. Quand j’étais enfant, j’avais déjà comme lecteurs mon frère et ma mère, mon seul public, mon meilleur public. Mon frère aussi écrivait des romans, d’ailleurs. Je rédigeais aussi de longues lettres à ma grand-mère. Je souhaitais vraiment être lu, être présent par les mots, qu’ils aillent quelque part et qu’ils émeuvent.

Vous avez envoyé votre manuscrit à Claude Gallimard par la poste, vous avez été reçu dans cette maison illustre et avez reçu le prix Renaudot pour ce livre…

• J.-M.G. L.C. En effet, j’ai eu beaucoup de chance. C’était à une époque, celle de la guerre d’Algérie, très difficile. Surtout pour les garçons, qui étaient contraints d’entrer dans l’armée. On nous préparait à aller à la guerre. J’ai effectué, pendant six mois, l’entraîneme­nt militaire pour intégrer l’école des officiers de réserve. On nous faisait ramper, tirer. Mais on savait que le but de tout ça, c’était d’aller en Algérie et de tirer sur des gens. Il y avait donc une atmosphère très sinistre pendant cette période. Non seulement pour les jeunes, mais aussi pour les parents, pour les fiancés. Et j’ai rapproché cela de ce que ma mère m’avait raconté sur les années qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale. Elle me disait : « On sentait la guerre arriver comme si c’était une fièvre qui montait. » Et là, c’était la même chose, on sentait qu’il y avait cette guerre au bout du chemin et on ne voyait pas comment l’empêcher. Parce que le pouvoir en place, toutes les institutio­ns et même l’ambiance générale nous poussaient à aller nous battre en Algérie. Il y a d’ailleurs eu une crise dans la littératur­e à cette époque-là et je pense qu’avec ce livre j’ai aussi voulu réagir contre le nouveau roman et son côté extrêmemen­t intellectu­el.

Pourtant, vous citez souvent Nathalie Sarraute et l’on vous sent influencé par ce style…

• J.- M. G. L. C. Nathalie Sarraute est l’un des rares auteurs, peut-être avec Claude Simon, que j’ai aimés de cette époque-là. Les autres, je ne les appréciais pas du tout. Dans l’une de vos conférence­s, vous dites : « L’écriture me donne le sentiment d’ajouter des jours à ma vie. » Est-ce votre essence ?

• J.-M.G. L.C. C’est une jouissance incroyable, dans le silence de la nuit, sans aucun support visuel ou très peu, que de faire renaître, de créer même parfois, des expérience­s qui nourrissen­t la vie éveillée, la vie quotidienn­e, la vie diurne. Les sentir monter en soi, les capturer… Alors que, durant la journée, la partie diurne de l’individu se prête moins à cela, parce que l’on est sollicité par les sensations, les occupation­s du quotidien.

Vos livres nous emmènent à la rencontre de votre famille, de vos origines, sur l’île Maurice, bien sûr, et plus récemment en Corée avec Bitna. Est-ce cela, être un écrivain de « la rupture », comme vous ont décrit les jurés du prix Nobel, en 2008 ?

• J.-M.G. L.C. Je ne sais pas pourquoi ils ont dit cela. Je n’aime pas trop parler de ce que j’ai écrit, c’est comme si c’était déjà très loin. Il me semble que je ne suis pas vraiment différent de celui que j’étais quand j’avais 21 ans, en tout cas, pas si éloigné que cela de celui qui se sentait outragé par son départ en tant que soldat, et qui, au moment de passer l’examen final d’officier de réserve, n’y est pas allé. Je ne voulais pas être officier. Je me disais que si je devais aller à la guerre, ce serait comme simple soldat, pas comme officier, pour ne pas avoir la responsabi­lité d’ordonner : « fusiller untel », « prenez tel bastion ».

On sent que vos livres sont d’ailleurs moins sombres après.

• J.-M.G. L.C. C’est exact, car j’ai voyagé et cela m’a beaucoup apporté. Lorsque j’ai quitté la France et surtout l’Angleterre, où je vivais une grande partie du temps à l’époque, je me suis retrouvé dans des pays où j’étais en contact avec des gens totalement différents, qui jouissaien­t d’une liberté que je ne connaissai­s pas en Europe. Liberté sensuelle, liberté dans un paysage moins urbain avec une population plus jeune. Quand j’allais au Mexique, à cette période, l’âge moyen de la population était de 14 ans. Et, quand je retournais en France, l’âge moyen semblait être de 74 ans ! [rires]

Voyager permet- il de tendre vers une littératur­e universell­e ?

• J.-M.G. L.C. Je ne sais si l’on peut parler d’une « littératur­e universell­e », si même elle existe. Je ne cours pas le monde pour raconter mes voyages. Je transporte avec moi mes obsessions, mes souvenirs d’enfant, mon culte incompréhe­nsible pour l’île Maurice que je ne connais pas, mais qui a tellement compté dans ma formation enfantine que je l’emporte avec moi, toujours. C’est un fardeau, rien d’autre. Je ne me déplace pas pour ressentir des sensations ou nourrir des scénarios, mais pour le plaisir de vivre dans un autre milieu, pour cette liberté dont je vous parlais, une liberté des sens plus qu’intellectu­elle. Le Mexique ou la Chine ne sont certes pas des modèles de démocratie, mais ces pays inventent des solutions au jour le jour pour toutes les situations qui se présentent. Un peu comme le fait la nature. D’ailleurs, les humains sont admirables quand ils se laissent aller à la nature et dangereux quand ils essaient de la contredire. Ce que relève Fred Vargas, dont j’approuve absolument tout ce qu’elle dit dans son très beau livre [ L’Humanité en péril, Flammarion].

Je transporte avec moi mes obsessions, mes souvenirs d’enfant, mon culte pour l’île Maurice

Quels auteurs contempora­ins aimez-vous ? • J.-M.G. L.C. Outre Fred Vargas, j’aime bien Marie NDiaye, Marie Nimier ou encore Marie Darrieusse­cq. Votre prochain livre portera sur Confucius, qui n’a d’ailleurs jamais écrit, laissant une morale orale. Au- delà de la culture, qu’est- ce qui vous intéresse dans la sagesse chinoise ?

• J.-M.G. L.C. J’ai eu une période où le taoïsme me fascinait. Mais ce qui m’intéresse davantage, c’est l’époque de Confucius, et surtout Mencius. Je trouve que ce sont des penseurs très originaux, ils se situent à peu près à la même époque que Platon. Leurs idées sont tellement plus modernes que celles des philosophe­s grecs, tellement plus fortes, avec une telle puissance de vision que je suis étonné qu’on n’en tienne pas compte en Europe, que ce soit considéré comme quelque chose d’exotique. Mencius est à l’origine de la formule « D’abord le peuple, ensuite le pays et enfin le roi », reprise par Deng Xiaoping. Le roi n’est pas important, il peut être changé. Le peuple, lui, est important. Je trouve que dire de telles choses, en l’an 600 avant l’ère chrétienne, est extraordin­aire. La lucidité des penseurs de cette période me bouleverse. C’était une époque de superstiti­ons, de religion, un peu comme ça l’était en Grèce ou à Rome. Avez- vous l’intention de retourner en Chine ?

• J.-M.G. L.C. Oui, j’ai été invité par le gouverneme­nt chinois pour soutenir un projet de constructi­on d’un espace culturel près de Shangdu, construit sur les ruines d’un village détruit par un tremblemen­t de terre il y a vingtcinq ans. Je compte aussi y rencontrer la poétesse Zhai Yong Ming, auteure d’un texte qui m’a vraiment bouleversé intitulé Women [« Femmes »], publié en anglais mais encore inédit en français. Elle est née en 1955 et a été malmenée par la révolution culturelle. Elle est allée vivre aux États-Unis jusque dans les années 1990, puis est retournée en Chine et s’est installée à Shangdu. Si vous avez l’occasion d’aller en Chine, allez visiter Shangdu ! Je voudrais aussi parler du fleuve Yangzi qui est magnifique, et qui fait partie de ce qui m’émeut vraiment en Chine. L’intelligen­ce, c’est émouvant mais jusqu’à un certain point.

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 ??  ?? HHHII Quinze causeries en Chine. Aventure poétique et échanges littéraire­s par J.-M.G. Le Clézio, 208 p., Gallimard, 19,50 €
HHHII Quinze causeries en Chine. Aventure poétique et échanges littéraire­s par J.-M.G. Le Clézio, 208 p., Gallimard, 19,50 €
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Paysage du sud de la Chine.
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