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LITTÉRATUR­E

Un livre-somme, rassemblan­t des nouvelles anciennes et inédites de Thomas McGuane, permet de (re-)découvrir son oeuvre sublime. Lire l’a rencontré lors du festival Étonnants Voyageurs.

- Hubert Artus

Il mesure près d’un mètre quatre- vingtdix, mais l’envergure et la simplicité de cet homme- là sont à la mesure de tout ce que l’on aime chez les écrivains d’une telle trempe : leur capacité à se trouver à la fois dans l’infiniment grand et l’infiniment petit. Thomas McGuane est un pur- sang des lettres américaine­s. Nous le rencontron­s à Saint- Malo, lors du festival Étonnants Voyageurs, ce rassemblem­ent où le nature writing, dont il est une icône, fait toujours partie des genres littéraire­s mis en avant. Or, aussi curieux que cela puisse paraître, c’est la toute première fois que notre homme s’y rend ! Il aura attendu l’année de ses quatre-vingts bougies (le 11 décembre prochain), cinquante ans après la parution américaine de son premier roman, The Sporting Club, alors édité grâce à son ami Jim Harrison, rencontré à l’université du Michigan dans les années 1960 ( le livre fut publié en 1992 chez Christian Bourgois, sous le titre Le Club de chasse).

NATURALISM­E ET MÉTAPHYSIQ­UE

Quand le ciel se déchire est une somme : quarante- cinq nouvelles, dont huit inédites. Les trente-sept autres étant déjà parues, dispersées dans trois

ouvrages (Comment plumer un pigeon ; En déroute ; La Fête des corbeaux). On y retrouve les grands thèmes et les décors chers à l’auteur : chasse ( aux canards, surtout), pêche, vie de couple, amours de jeunesse, travail, chômage, grands rêves réduits à néant, vie quotidienn­e, mais aussi harcèlemen­t scolaire, drogue, mémoire des Indiens. Le tout avec ce regard ironique, ce goût pour le surgisseme­nt inattendu et cette capacité à jouer des sousentend­us comme des doubles sens. Ce sont des nouvelles courtes, comme « Une énigme » (cinq pages), mettant en scène un vieux cow-boy qui arrive en ville ( à Livingston­e, Montana), arpente la rue principale et la quitte, comme dans un générique de fin. Entre-temps, cinq méfaits nous auront dévoilé qui il est vraiment. Une histoire typique de McGuane : directe,

émouvante, à l’os, avec son talent de mêler naturalism­e et métaphysiq­ue, ou bien fatalisme et poésie.

TRANCHES DE VIE

La majeure partie de ces textes se déroule dans des lieux reculés du Montana. Les grandes villes sont bien loin des fermiers, ranchers, juges, chasseurs, infirmière­s et autres personnage­s, tous ces oubliés de la globalisat­ion. Pourtant, ceux-ci sont aussi divers que les décors, et à l’origine de tranches de vie souvent inoubliabl­es : dans « Le millionnai­re », une famille se réunit dans une maison au bord d’un lac, pour procéder, en cachette, à l’accoucheme­nt de la jeune fille et faire adopter son bébé par un couple stérile. « Comme une feuille » nous montre un veuf obsédé, obligé de conduire sa voisine nymphomane en prison. « Je suis de plus en plus irrité par le fait que, à partir

du moment où une histoire se situe dans l’Ouest, il faut que les personnage­s soient des ranchers, des cowboys, des Indiens, bref, des figures rendues romantique­s,

nous dit-il, Mais mes voisins sont routiers, livreurs de pizzas, et ils n’ont pas à être absents de la littératur­e de l’Ouest ! C’est pour cela que ce genre de protagonis­tes est apparu dans mes nouvelles, et qu’ils y restent. » Poursuivan­t, l’écrivain s’avoue « toujours du Montana, toujours aussi obsédé par la nature et le paysage ». Mais il précise illico : « Ce sont les êtres humains qui sont le sujet des romans. Pas les paysages. Car un auteur qui vit et écrit sur un univers dominé par la nature travaille avec un handicap : les heurts, les actions et les rêves des personnage­s sont comme diminués par la puissance de leur environnem­ent. Or ce sont eux qui doivent rester la priorité. »

Thomas McGuane vit depuis quarante ans dans le Montana, dans son ranch de McLeod, « une toute petite ville où il n’y a que… six habitants ! » lâchet-il dans un grand éclat de rire, avant d’enchaîner : « Je me rends compte que l’humanité me manque… peut-être ! »

Il n’aime rien tant que la solitude dans ces grandes plaines. Avant d’arriver là, il avait envoyé valdinguer sa Porsche dans le décor. Point final de ce qui avait été sa vie durant les sixties et les seventies : cocaïne, liaisons tumultueus­es, divorces à répétition, scénarios pour Hollywood (entre autres : Missouri Breaks d’Arthur Penn), et le surnom de « Captain Barjot ». « J’y repense parfois avec nostalgie », avoue-t-il, plaidant avec cette phrase de John Keats : « “Comment peut-on savoir que c’est assez, quand on n’a pas encore atteint le point de trop ?” »

Quand le ciel se déchire permettra aux « profanes » d’entrer dans cet univers littéraire aussi terrien que spirituel. Les fidèles auront, eux, plaisir à mesurer l’effet du temps sur ces tranches de vie. Et sur l’écriture de l’auteur. « J’aime à penser que je suis devenu plus simple, que j’écris plus franc, avec moins d’exubérance et moins de fioritures. Vers une plus grande recherche de la vérité et de la simplicité » , conclut- il. Thomas McGuane est un homme en pleine forme. Un orfèvre des questions existentie­lles et des (espaces) infinis.

CE GOÛT POUR LE SURGISSEME­NT INATTENDU ET CETTE CAPACITÉ À JOUER DES SOUS-ENTENDUS COMME DES DOUBLES SENS

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Thomas McGuane, dans son ranch du Montana, à McLeod, en 2007.
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Quand le ciel se déchire (Cloudburst­s) par Thomas McGuane, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Amfreville, Éric Chédaille et Brice Matthieuss­ent, 672 p., Christian Bourgois, 25 €
HHHHI Quand le ciel se déchire (Cloudburst­s) par Thomas McGuane, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Amfreville, Éric Chédaille et Brice Matthieuss­ent, 672 p., Christian Bourgois, 25 €

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