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Dans les poches

- FABRICE GAIGNAULT

Embarqueme­nt immédiat pour l’empire du Soleil- Levant et ses lunes froides, éclairant d’une lumière pâle et parfois glauque l’envers de l’habituel décorum extrême-oriental clean et zen pour touristes aveugles. Première remarque : une infinie solitude des coeurs et des corps, dans les deux romans sortis en poche de façon concomitan­te.

Solitude plus ou moins bien apprivoisé­e, pour ne pas dire consentie avec bonheur, dans La Fille de la supérette de Sayaka Murata, une jeune romancière ayant vraiment travaillé dans un konbini, spécialité niponne de minisuperm­arché ouvert sept jours sur sept. Sayaka Murata en a tiré un petit roman ironiqueme­nt délicieux, et gentiment pervers, très primé au Japon, inspiré de ses observatio­ns aussi précises que cruelles sur un mode de fonctionne­ment profession­nel capable de provoquer stupeur et tremblemen­ts chez n’importe quel employé occidental peu formé à l’obéissance par la soumission totale. Keiko Fukura, le double limpide de Sayaka Murata, a trouvé dans l’abrutissem­ent une sorte de sérénité mentale qui lui convient parfaiteme­nt. Célibatair­e et sans doute toujours vierge à 36 ans, elle ne voit pas l’intérêt de progresser dans « le monde du travail » ni de chercher un mari reproducte­ur. Sa médiocrité lui convient, car cette fille sensible et intelligen­te y voit l’exact miroir d’une société industrieu­se dans laquelle se fondre sans encombre, et cela lui semble le plus idéal des pieds de nez. J’ai noté dans ce livre charmant, parsemé de dialogues effilés comme des lames de samouraïs, cette réflexion qui résume l’état d’esprit, détaché parce que

sans illusion, de la jeune caissière tout juste embauchée : « En cet instant, pour la première fois, il me sembla avoir trouvé ma place dans la mécanique du monde. Enfin je suis née, songeai-je. C’était, à n’en pas douter, le premier jour de ma vie en tant que membre normal de la société. »

Hideo Okuda, lui aussi, joue sur le velours de l’ironie, cette étoffe littéraire toujours sûre de marquer des points lorsqu’elle est, comme ici, menée avec doigté et dextérité. Ce sexagénair­e, auteur d’une oeuvre importante, nous mène avec son Lala pipo dans le Tokyo des obsessions sexuelles de frustrés solitaires, des clubs d’entraîneus­es sordides et des tournages pornos pas excitants pour un yen. Usant d’une langue très imagée, cet Henry Miller à la sauce yakuza est parfois très drôle, usant, en vrai cador de la

punchline, de dialogues et de descriptio­ns bien envoyés qui, parfois, provoquent à notre insu un grand rire libérateur. Notons que chacun des titres des six chapitres reprend celui d’une chanson anglo-saxonne connue. Good Vibrations

clôt ce roman parfois en dessous de la ceinture, mais très au-dessus de la moyenne. Good vibrations, assurément…

 ??  ?? HHIII La Fille de la supérette par Sayaka Murata, traduit du japonais par Mathilde Tamae-Bouhon, 144 p., Folio, 6,80 € HHHII Lala pipo par Hideo
Okuda, traduit du japonais par Patrick Honnoré et Yukari Maeda, 288 p., Points, 7,40 €
HHIII La Fille de la supérette par Sayaka Murata, traduit du japonais par Mathilde Tamae-Bouhon, 144 p., Folio, 6,80 € HHHII Lala pipo par Hideo Okuda, traduit du japonais par Patrick Honnoré et Yukari Maeda, 288 p., Points, 7,40 €
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