Les vingt-deux salopards
Olivier Guez s’entoure des meilleurs spécialistes pour brosser le portrait d’une vingtaine de despotes ayant semé la terreur de 1917 à aujourd’hui. Un ouvrage saisissant, à déconseiller aux âmes les plus sensibles.
Pol Pot était un fils de famille aimable et distingué, qui ne se mettait jamais en colère – ses bonnes manières ne l’empêchèrent pas d’exterminer un quart de ses compatriotes cambodgiens. Derrière son humour, Mobutu n’était pas plus commode. Pierre Mulele ne nous contredira pas : après une fête champagnisée censée signer sa réconciliation avec l’homme à toque de léopard, il avait été torturé à mort – nez, yeux et oreilles arrachés, bras et jambes amputés, le reste jeté dans le fleuve du coin. Si Le Siècle des dictateurs est riche
de ce genre d’anecdotes sanguinolentes, ce livre présenté par Olivier Guez est surtout une réflexion tous azimuts sur les origines du totalitarisme : dans quel contexte naît-il ? pourquoi
prend-il telle ou telle forme ? comment s’impose-t-il et s’exerce-t-il ?
Pour mener à bien cette fascinante galerie de vingt- deux portraits, de Lénine à Bachar el- Assad, en passant par Tito, Mao ou le Paraguayen Stroessner (qui aurait inspiré à Hergé le général Tapioca de Tintin et les Picaros),
Olivier Guez a réuni une équipe de fines lames (dont Éric Roussel, Laurence Debray et notre collaborateur Emmanuel Hecht). L’analyse des faits n’empêche pas la dimension romanesque. Les derniers jours de Hitler et de Kadhafi ont quelque chose de mythologique qui n’aurait pas déplu à Suétone. Et, de pantalonnades en décorums kitsch, tous ces personnages flirtent avec le burlesque. Ce qui est moins cocasse, c’est que cette saga n’est pas finie, comme le rappelle Olivier Guez dans sa préface, où il pointe du doigt les réseaux sociaux et la surveillance généralisée, « qui offrent aux dictateurs du xxie siècle des moyens dont leurs prédécesseurs n’auraient pas rêvé ». Si Hannah Arendt était encore vivante, elle aurait du grain à moudre : la tyrannie a de beaux jours devant elle.