La revue revisitée
Création et critique littéraires sont au coeur de deux jeunes revues fondées l’an dernier : WIP. Littérature sans filtre à Paris, et Fassl à Alger.
Le soleil a beau briller, la morosité reste de mise en ce qui concerne la presse et l’édition. Plus personne ne lit ; le papier, c’est fini. Heureusement, l’information ne semble pas avoir atteint les rivages de Bab El Oued à Alger ni le 20e arrondissement de Paris. Là, des amoureux de littérature rescapés du catastrophisme ambiant ont imaginé deux revues innovantes et passionnantes.
LA RELÈVE DE LA CRITIQUE ALGÉRIENNE
La première s’appelle Fassl, un terme qui désigne à la fois la saison et le chapitre. Élaboré à Alger à l’automne 2018 par Maya Ouabadi, le projet est né de la volonté d’écrire une nouvelle page et de donner un second souffle à la vie littéraire en Algérie. Un pays où, selon l’éditrice, la fiction ne suscite que peu de réactions, ou alors une « réception » timide qui donne le sentiment aux acteurs de la chaîne du livre de travailler en « vain ». Le graphisme de Fassl est sobre et élégant. Dans son numéro zéro, la revue littéraire bilingue propose portraits, critiques de fond et entretiens avec des auteurs algériens et étrangers de langue arabe et française. La qualité du contenu prouve que l’Algérie ne manque pas de brillants critiques littéraires, nés dans les années 1980 et 1990 pour la plupart. Cela transparaît notamment dans le dossier consacré à l’importance de la décennie noire dans la production littéraire algérienne contemporaine. Il est construit autour de cinq romans parus entre 2000 et 2017 : Dédales de H’mida Ayachi ; 1994, le polar très remarqué en France d’Adlène Meddi ; L’Effacement de Samir Toumi ; Pluies d’or de Mohamed Sari ; L’Aube au-delà d’Amine Ait Hadi. Ces oeuvres explorent la genèse de la décennie noire ainsi que les thèmes récurrents de la folie et des traumatismes générés par la violence de la guerre civile, tout en conduisant une réflexion critique sur l’héritage laissé par les héros de la guerre de libération nationale.
Dans la revue également, des recensions d’ouvrages publiés hors d’Algérie – ici La Belle de Casa d’In Koli Jean Bofane et Le Fou du roi de Mahi Binebine. Enfin, chaque édition se termine par un extrait imprimé sur des pages bleues. Pour ce numéro, il s’agit de « L’Odeur du voyage », une nouvelle d’Ameziane Ferhani, tiré du recueil Les Couffins de l’équinoxe. En juillet, Fassl a sorti son numéro un, avec pour thème l’autofiction.
À PARIS, TRAVAUX EN COURS
La seconde revue à découvrir est baptisée WIP. Trois lettres pour « Work in Progress ». À l’origine, c’est le nom d’un café littéraire créé fin 2012 au Pitch Me, un restaurant-bar africain situé dans le 11e arrondissement de Paris, avant de déménager dans le 20e. Ce lieu est aussi un atelier permanent d’écriture où les auteurs viennent lire leurs oeuvres « en chantier », un cinéma de quartier et un bar afro qui propose du poulet yassa arrosé de rhum gingembre. En 2017, la maison d’édition parisienne Karthala décide d’accompagner les auteurs en leur offrant une première publication. C’est le lancement de WIP. Littérature sans filtre. Dans chaque numéro, le lecteur découvre le work in progress
d’une dizaine d’écrivains. Ils viennent de Paris, d’Abidjan, du Liban, de Belgique, de Kinshasa ou de Belgrade. Ils sont jeunes ou confirmés. Tous ont déjà lu leurs textes lors d’une soirée WIP au Pitch Me à Paris ou à la Kulturfabrik, son petit frère luxembourgeois. Nouvelles, poèmes, extraits de pièces de théâtre ou de romans sont sélectionnés par un comité éditorial. Celui du troisième numéro, paru en juin, est composé du directeur de la Kulturfabrik, Serge Basso, des éditrices Juliette Combes-Latour (Le Temps des Cerises) et Marie Eugène (HarperCollins), et de l’écrivaine et dramaturge Gaël Octavia. On y lit avec plaisir une nouvelle inédite d’In Koli Jean Bofane (République démocratique du Congo-Belgique), les premières pages d’un roman de Sonia Ristić (BelgradeFrance), l’extrait d’un roman de Sayouba Traoré (Burkina Faso), ou encore un poème sur Istanbul de la romancière et femme de théâtre turque Sedef Ecer.
Enfin, la revue WIP s’inscrit dans l’actualité de la rentrée littéraire en publiant un extrait du roman Ni poète ni animal
d’Irina Teodorescu (Bucarest-Paris), à paraître le 28 août chez Flammarion, et une pièce de théâtre en un acte de Sofia Aouine, dont le premier roman, Rhapsodie des oubliés, sera publié le 29 août aux éditions de La Martinière. Wip. Littérature sans filtre n°3, 168 p., Karthala, 15 €
Fassl, disponible sur commande à l’adresse : editions.motifs@gmail.com