Dans les poches
On dirait qu’ils ne tiennent pas en place, ces écrivains qui ont la bougeotte épileptique et retrouvent toujours le même paysage : euxmêmes tentant de terrasser leurs névroses. Je ne connais guère que l’Égyptien Albert Cossery (1913-2008) qui soit resté soixante ans dans la même chambre. Et encore, c’était à l’hôtel La Louisiane, à Saint-Germain-des-Prés, une façon d’aller dans le bayou sans avoir à se faire croquer par un alligator. Victor Segalen (1878-1919), lui, donne le tournis. Dans Mes pas vont ailleurs, Jean-Luc Coatalem le suit à la trace, avec méthode et finesse. Son diplôme de médecin en poche, Segalen le Brestois n’a qu’une idée : décamper. Le voici, à 25 ans, en Polynésie française. Puis direction la NouvelleCalédonie et les Marquises, sur les traces de Gauguin. À peine le temps d’épouser Yvonne, le voici à Pékin. La Chine est vaste, mais il en faudrait plus pour assagir ce grand agité amateur d’opiacés. Expéditions à travers le pays puis virée au Japon. Retour en France par le Transsibérien, mais pourquoi s’embêter chez soi ? Deuxième expédition, du Yunnan à l’extrême ouest du pays. Troisième séjour en Chine en 1917, via la Norvège, la Russie, la Mongolie. Mais voici Hélène, sa maîtresse. Malade, Victor va se reposer en Algérie et meurt dans une forêt bretonne. « Je vais dormir ou peut- être rêver », écrit-il à Hélène. Dormir enfin. Rêver ? Ses quelques livres miraculeux, bientôt en Pléiade, portent l’empreinte du rêve à son apogée. Définitivement peut-être.
Scott (1896-1940) et Zelda Fitzgerald (1900-1948) ontils fait autre chose que courir après ce qui leur échapperait jusqu’à la fin ? Rien est moins sûr à la lecture de Scott et Zelda Fitzgerald de Stéphane Maltère. En Europe, l’Europe les déçoit. Non, mieux vaut la jeune Amérique. Mais vite l’auteur de L’Envers du paradis en a marre de « la mollesse semi-intellectuelle » où il s’enlise avec les jeunes de sa génération. Déménagements nombreux et cuites tout aussi nombreuses avec Zelda. Les voici à Montparnasse, puis la Côte d’Azur les appelle. Un peu de soleil dans l’eau tiédasse de leur relation. Puis retour en Amérique, la folie grimpante de Zelda, la déprime constante de Scott. L’internement de l’une, le naufrage hollywoodien de l’autre. « Nous mourrons ensemble, je le sais » , avait pronostiqué Zelda. Définitivement peut-être.
« Qui ne connaît la forêt chilienne ne connaît pas cette planète », confie, dans son autobiographie, Pablo Neruda (1904-1973). Dans la première partie de J’avoue que j’ai vécu, le poète raconte comment il accepta d’être nommé consul à Rangoun, un nom qui ne lui disait rien mais qu’il trouvait beau. Mais avant, escale obligatoire à Montparnasse, « deux cents mètres de trottoir » et centre du monde pour le Chilien. Il ne nous dit pas s’il croisa Zelda et Scott. Définitivement peut-être.
HHHII Mes pas vont ailleurs par Jean-Luc Coatalem, 264 p., Le Livre de Poche, 7,40 € HHIII Scott et Zelda Fitzgerald par Stéphane Maltère, 352 p., Folio biographies, 9,50 €
HHHHI J’avoue que j’ai vécu. Jeunesse (Confieso que he vivido. Juventud) par Pablo
Neruda, traduit de l’espagnol (Chili) par Claude Couffon, 256 p., Folio bilingue, 9 €