Primaire à haut risque
Inspirée par des faits récents, Caroline Lunoir nous entraîne dans le monde impitoyable de la politique. Prétexte à satire, comme dans son roman La Faute de goût, de la bourgeoisie traditionnelle.
Que se passe-t-il dans la tête de l’épouse d’un homme politique dans la tourmente ? Dans Première dame, son troisième et nouveau roman, la Parisienne Caroline Lunoir nous plonge dans les coulisses d’un calvaire qui ressemble fortement à celui qu’a vécu Penelope Fillon, lors de la campagne présidentielle de 2017. Mais plutôt que d’en faire la chronique politique, l’auteure fait le pari de raconter cette histoire sous la forme, imaginaire et romancée, bien sûr, d’un journal intime. Celui d’une femme coupée des réalités sociales, enfermée dans son confort idéologique douillet, qui se révèle, en pleine crise, dans un fascinant mélange de naïveté et de cynisme voilé.
Marie est la femme du candidat de droite à la primaire, en vue de la magistrature suprême. Conservateur à mocassins et pull jacquard, grand notable à l’arrogance tamisée, Paul s’appuie sur la présence de sa femme pour incarner le sérieux de valeurs
familiales, solidement ancrées dans des terres de province où il aime à pratiquer la chasse au cerf. À ses côtés pour relire ses discours et « vérifier avant un meeting que les bouteilles d’eau ont bien été disposées sous le pupitre », Marie joue son rôle de tapisserie modèle avec une dévotion à première vue sans faille. « Paul, mon ancre » , écrit-elle dans l’un de ses élans sentimentaux, magnifiquement vieille France. Rédactrice très occasionnelle pour une revue culturelle, cette mère de trois enfants nourrit pourtant quelques discrètes jalousies envers celles qui ont modernisé leur rapport au rôle maternel et des carcans bourgeois.
UN MONDE COMPASSÉ
Des scandales à répétition vont bientôt mettre en péril la solidité de ce projet présidentiel et marital : liaison extraconjugale, découverte de comptes à l’étranger ouverts au nom des enfants… Mise à rude épreuve, l’épouse continue de soutenir les ambitions de son mari, son désir d’émancipation peinant à se libérer des archaïsmes et à s’incarner dans un autre destin. Paul, s’enfonçant dans une obstination narcissique, drape sa misogynie dans les douces étoffes de ses indéboulonnables certitudes bourgeoises. Caroline Lunoir ne cherche pas à nous faire aimer celle dont elle dépeint les souffrances avec une ironie mordante, teintée de compassion. Sa satire sociale raconte les impasses d’un monde compassé, qui puise dans ses dernières forces pour sauver sa dignité.
Estelle Lenartowicz
HHIII Première dame par 192 p., Actes Sud, 18 €