L’édito de Baptiste Liger
Même si 2019 n’a pas encore déroulé son générique de fin, ce numéro rituel de décembre vous propose une rétrospective des livres qui ont fait l’année. Non plus selon un classement des vingt meilleurs livres, mais des cent ouvrages qui se sont distingués ces onze derniers mois. L’exercice nous impose une autocritique, forcément salutaire, tant sur certains de nos enthousiasmes, aujourd’hui dissipés, que sur des publications que nous avons sous-estimées ou tout bonnement ratées. De toute manière, faute de recul, anticiper ce que l’Histoire retiendra peut sembler quelque peu présomptueux. Tout ce que l’on peut faire, en l’état, c’est dresser un tableau général des oeuvres que nous avons aimées, qui nous semblent importantes, ayant provoqué le débat ou ayant reçu un bel accueil public ou médiatique. Bref, assumer un mélange de pure subjectivité de goût et d’objectivité disons « journalistique », hors de nos préférences – même si l’un n’empêche pas l’autre…
En premier lieu, il convenait de désigner le livre de l’année. Qui succédera à Philippe Lançon et à son Lambeau ? La littérature française se trouve à nouveau à l’honneur avec une oeuvre pourtant aux antipodes du lauréat de l’an passé. Nous avons ainsi choisi, après des délibérations somme toute assez rapides Les Furtifs d’Alain Damasio, paru mi-avril et resté dans la tête de certains membres de la rédaction – et de l’auteur de ces lignes… Il est en effet difficile de ne pas reconnaître l’ampleur du travail de cet écrivain aujourd’hui quinquagénaire, connu d’un cercle d’admirateurs mais pas forcément du grand public. Cela fait pourtant une vingtaine d’années qu’il propose des fictions très ambitieuses – La Zone du Dehors et La Horde du Contrevent –, généralement classées au rayon « science-fiction ». Un genre souvent regardé de haut en France, alors que cette dernière en est historiquement un berceau (Louis-Sébastien Mercier, Cyrano de Bergerac – l’auteur ! –, Jules Verne, J.-H. Rosnay aîné, Maurice Renard…). Ainsi, on ne s’explique pas qu’aucun des jurys des grands prix d’octobre et novembre n’ait sélectionné Les Furtifs dans ses listes automnales, mettant parfois en lice des volumes anecdotiques tant sur le fond que sur la forme. Ce sont nombre d’enjeux contemporains ( questions sécuritaires, enjeux environnementaux, réflexion sur l’altérité…) qu’Alain Damasio a ici réunis, dans une fiction de près de 700 pages, fruit de dix ans de gestation. L’auteur a pu au passage trouver un équilibre sidérant entre plaisir du lecteur, avec un vrai sens du roman-feuilleton et du thriller, et expérimentations littéraires, avec insertion de signes dans le texte, jeu avec les sonorités et audaces narratives. Outre le désir de mettre en avant les littératures de l’imaginaire et les impressionnantes qualités de ce roman, Lire avait par ailleurs envie de rendre hommage au travail des petites maisons d’édition, en distinguant une enseigne indépendante, La Volte, qui s’est d’ailleurs créée autour de l’auteur…
Dans les pages qui suivent, vous trouverez aussi de vieilles connaissances, qui nous ont gratifiés de très belles réussites, comme la stakhanoviste Joyce Carol Oates, avec Un livre de martyrs américains, et le merveilleux retour d’Edna O’Brien avec Girl. Il sera aussi question de polémiques provoquées par Michel Houellebecq ou Bret Easton Ellis dans Sérotonine et White, et des constats sociétaux glaçants mis en lumière par Jérôme Fourquet et son Archipel français. Mais on aura tenu à saluer quelques succès inattendus, comme ceux de Franck Bouysse ( Né d’aucune femme), Victoria Mas (Le Bal des folles), Joseph Ponthus ( À la ligne, distingué par le Grand Prix RTL-Lire) ou AJ Dungo (le roman graphique In Waves), et à faire se côtoyer des personnalités aux positions les plus variées (d’où la présence, par exemple, à la fois de Nicolas Sarkozy et de Juan Branco, pour leurs essais ayant tous deux défrayé la chronique). Ce coup d’oeil dans le rétroviseur ne doit cependant pas nous empêcher de regarder la route devant nous et, déjà, de vous proposer une petite sélection d’extraits de parutions de janvier – parmi lesquels les bonnes feuilles du dernier bijou de Jean Echenoz, Vie de Gérard Fulmard. Rendezvous en 2020 pour vous en dire plus sur ce livre. Et sur tous les autres…
Une autocritique forcément salutaire