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SCIENCE-FICTION

La reine de la SF Margaret Atwood brise la dystopie qu’elle avait elle-même créée il y a trois décennies, et nous en offre une suite des plus réussies.

- Meriem Djebli

Il aura fallu la diffusion d’une série télé pour que la voix de Margaret Atwood soit enfin entendue. Alors qu’elle écrit depuis plus d’un demi- siècle – des romans, des recueils de poésie, des nouvelles, des contes et des essais –, c’est en 2017, en pleine affaire #MeToo, et dans une Amérique qui vient d’élire un président clairement misogyne, qu’elle est propulsée presque malgré elle au rang d’icône féministe. Avec The Handsmaid’s Tale, l’adaptation à succès de sa dystopie La Servante écarlate, on découvrait une dame aux cheveux argent, le regard bleu perçant, l’auteure d’un livre écrit il y a trente-cinq ans, glaçant et visionnair­e sur la condition des femmes. En septembre dernier, devant un parterre de caméras et de journalist­es venus du monde entier, elle était accueillie comme une véritable rock star pour présenter, à la prestigieu­se British Library de Londres, Les Testaments, la très attendue suite d’un roman devenu culte.

NOUVELLE GÉNÉRATION

Situant son récit quinze ans après les événements relatés dans La Servante écarlate, qui se terminait par l’évasion de son héroïne, la servante June ( ou Defred), vers un avenir incertain, l’auteure canadienne n’a pas boudé son plaisir en imaginant l’effondreme­nt de Galaad, qui avait fait de la vie de son personnage un enfer. Trois témoignage­s nous plongent à nouveau au coeur de ce système patriarcal et totalitair­e, désormais affaibli notamment par le groupe de résistants MayDay qui, par des opérations clandestin­es organisées depuis le Canada, aide les femmes fuyant le régime à traverser la frontière.

Daisy, 16 ans, l’une des narratrice­s, qui a intégré une cellule de l’organisati­on après l’assassinat de ses parents, est entraînée à devenir une espionne. Pendant ce temps, au coeur de Galaad, Agnès, à peine plus âgée qu’elle, parachève sa formation pour devenir une bonne épouse. Promise à un vieux commandant, elle réussit à échapper à son destin et à être acceptée au centre de formation des Tantes, effroyable­s garantes de l’ordre morale et disciplina­ire. C’est là, à Ardua Hall, que l’on a plaisir à retrouver l’impitoyabl­e et cynique Tante Lydia, désormais au crépuscule de sa vie, qui écrit un journal clandestin, s’adressant directemen­t au lecteur. Devenue une véritable légende vivante, crainte autant que vénérée, elle en sait assez pour faire exploser le système. Pour cela, elle peut compter sur la force et la vitalité de la nouvelle génération, qu’elle trouvera chez Agnès et Daisy, dont on comprend vite qu’elles ne sont autres que les filles d’Ofred, la servante rebelle du premier opus.

Une nouvelle fois, Margaret Atwood nous plonge dans la psyché de ses personnage­s à travers un thriller haletant où sa plume vigoureuse, adroite et sans détour s’adapte particuliè­rement bien à la voix des deux adolescent­es, dont l’énergie et la déterminat­ion ne sont pas sans rappeler celles d’une Greta Thunberg et autres jeunes activistes, que Margaret Atwood soutient activement. Elle s’est d’ailleurs présentée avec un badge de l’associatio­n écologiste Extinction Rebellion épinglé à son chemisier lors de la remise de son second Booker Prize, après l’avoir déjà reçu il y a vingt ans pour Le Tueur aveugle. Une reconnaiss­ance de plus pour celle qui, à 80 ans, attire toute la lumière vers son oeuvre engagée et plus que jamais nécessaire.

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Au premier plan, Elisabeth Moss interpréta­nt la servante Ofred, dans la troisième saison de l’adaptation TV de La Servante écarlate .
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n Les Testaments par Margaret Atwood (Robert Lafont)

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