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DIANE DUCRET

Vous n’aurez pas le dernier mot

- DIANE DUCRET

Sentir la pluie venir n’est guère l’apanage des intuitifs, cela s’appelle avoir de l’arthrose

Le mois de décembre a en mon esprit toujours été associé à la pluie. L’été s’est définitive­ment fait la malle à la Toussaint, la neige se fait encore désirer, la seule qui vous attende en bas de chez vous, tous les matins, c’est la pluie. J’ai grandi près de l’Océan, dans une région où il pleut généreusem­ent. Depuis ma chambre d’enfant, je voyais au loin l’horizon marin se gorger, les vitres être fouettées de gouttes tonitruant­es. Je craignais chaque fois que la pluie rejoigne la mer pour emporter l’immeuble, qui serait transformé en arche de Noé improvisée. Nous n’avions hélas qu’un chien et qu’un perroquet, cela faisait maigre pour repeupler la Terre. Biarritz en décembre, ce sont cinquante nuances de pluie. À l’horizontal­e, à torrents, à verse, de biais, en crachin, en spray, en trombes, en escadrille, il pleut comme à Gravelotte, comme vache qui pisse, par troupeaux entiers. C’est d’ailleurs certaineme­nt à Biarritz que les scientifiq­ues, pour expliquer le monde, ont inventé la théorie des cordes. Ils ont dû y séjourner en décembre, auront regardé par la fenêtre tandis qu’il pleuvait… des cordes. J’ai toujours pensé que cette eau providenti­elle était une source d’inspiratio­n pour l’écrivain, et que j’avais eu bien de la chance d’être tombée dans le seau lorsque j’étais enfant. Comme je me trompais !

J’ai trouvé le talon d’Achille de tous les auteurs, le phénomène naturel qui assèche leur talent, tarit leur génie : la pluie. En vers, en prose, ça pense, ça ose, mais trois gouttes de pluie et les voilà anéantis. J’ai été alertée par le poème de Verlaine Il pleure dans mon coeur. « Il pleure dans mon coeur/Comme il pleut sur la ville » : associer les pleurs à la pluie, passe encore. « Ô bruit doux de la pluie /Par terre et sur les toits » ; et pourquoi pas sur les trottoirs et les pigeons ? Les lois de la physique sont strictes, la pluie se répand également sur toutes les surfaces. Je me suis questionné­e en découvrant Jules Renard. « L’espérance, c’est sortir par un beau soleil et rentrer sous la pluie » (Journal). Le poncif n’est pas loin, la pluie a réussi à diluer le sujet. Les frères Goncourt ont bien tenté de s’y coller, sans guère plus de succès. « En province, la pluie devient une distractio­n » (Journal). Tout de même, une averse, cela n’est pas Disneyland non plus.

J’ai commencé à sérieuseme­nt douter en lisant Henry Miller : « Certains sentent la pluie à l’avance, d’autres se contentent d’être mouillés. » Sentir la pluie venir n’est guère l’apanage des intuitifs, cela s’appelle avoir de l’arthrose, pas de quoi s’extasier. Pour les seconds, un simple parapluie suffira à sortir de cette dichotomie pénible. Un mal anecdotiqu­e, penserez-vous ? Il suffit de lire Soljenitsy­ne pour se détromper : « Tant qu’on peut encore respirer, après la pluie, sous un pommier, on peut encore vivre » (Zacharie l’escarcelle). Si une pluie vous empêche de respirer, c’est que c’était un tsunami, une vague subversive. Quant à savoir s’il faut absolument un pommier pour apprécier la pluie, l’assertion est assez restrictiv­e. On peut tout à fait être à son aise par une bonne saucée au pied d’un hêtre ou d’un chêne. Un saule pleureur pourra assurément faire l’affaire.

J’ai réalisé que je tenais avec la pluie la kryptonite des écrivains lorsque j’ai découvert que le phénomène touchait même Shakespear­e : « L’amour, c’est le soleil après la pluie » (Vénus et Adonis). Cliché ! Fort heureuseme­nt, comme dans de nombreuses situations, René Char semble nager au-dessus de la mêlée et sauver les écrivains du manque d’inspiratio­n pluviale : « Il faut être l’homme de la pluie, et l’enfant du beau temps » (Le Marteau sans maître). Alors, soyons des hommes tant qu’il pleut, et dépêchons-nous d’être des enfants pour accueillir, bientôt, le printemps.

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