JOSYANE SAVIGNEAU
Certains l’aiment Jo
Quand la saison a été pleine de bonnes surprises, commenter les prix littéraires n’est plus une corvée. Les lecteurs vont à coup sûr être nombreux à l’affût de La Panthère des neiges (prix Renaudot), de Sylvain Tesson. Mais on aimerait que les grosses ventes déjà en cours n’empêchent pas de garder le goût de la découverte et d’aller retrouver Abad, le garçon malicieux du premier roman de Sofia Aouine, Rhapsodie des oubliés (prix de Flore), un lointain cousin de l’Antoine Doinel des Quatre Cents Coups, qui vit à la Goutte d’Or, quartier encore populaire d’un Paris de plus en plus gentrifié.
Dans Les Grands Cerfs (prix Décembre), de Claudie Hunzinger, on ne s’étonnera évidemment pas de croiser de telles bêtes. En revanche, en ouvrant La Tentation (prix Médicis), de Luc Lang, on s’attendait peu à voir apparaître un cerf. Cet animal est pourtant le héros du début du roman quand François, chirurgien et chasseur, le blesse et, au lieu de l’achever, décide de le ramener chez lui et de le soigner. Est-ce un geste d’humanité ou, au contraire, une ultime manifestation de la volonté de puissance de François ? Peut-être les deux.
Si François renonce à la violence de la chasse en épargnant le cerf, il doit faire face à une autre violence qu’il ne sait pas comment affronter : celle de sa famille. Un fils banquier qu’il ne comprend pas, une fille qui lui échappe, obsédée par une histoire d’amour plus que bizarre, une épouse en proie à des crises mystiques. François, la cinquantaine, s’enfonce dans une spirale de l’échec que Luc Lang décrit avec une minutie impitoyable.
Les familles, plutôt décomposées que recomposées, sont au coeur des Choses humaines de
Karine Tuil (prix Interallié et Goncourt des lycéens). Les jurés de l’Interallié et les lycéens semblent ne pas avoir entendu les mauvais procès faits à l’auteure par certains critiques. On lui a en effet reproché de surfer sur la vague #MeToo – la seconde partie du livre est un procès pour viol – alors qu’elle a commencé à travailler sur ce sujet en 2016.
À une époque où l’on manie un peu trop les propos hâtifs, les dénonciations, et où les procès et les exclusions se font dans les médias et sur les réseaux sociaux, il est plutôt réconfortant de lire une histoire qui montre toutes les ambiguïtés des relations entre les personnes – y compris les relations sexuelles. Karine Tuil aurait aussi, a-t-on dit, trop lu Philip Roth. En fait, elle l’a bien lu et elle a fait sienne, dans tous ses livres, sa réflexion sur l’identité juive. Et aussi sa critique sociale.
Les Choses humaines met en scène un journaliste célèbre, vieillissant, qui ne veut pas décrocher – on peut mettre une bonne dizaine de noms sur le personnage… Sa femme, plus jeune bien sûr, le quitte pour Adam, professeur dans une école juive. Adam étouffait avec une épouse devenue très religieuse. L’une de leurs filles, Mila, trouvant elle aussi pesantes les règles imposées par sa mère, se réfugie chez son père et sa nouvelle compagne, Claire. Un soir, Mila sort avec le fils de Claire, Alexandre. Puis elle porte plainte contre lui pour viol. Pour mettre en scène le procès, l’auteure a beaucoup fréquenté les palais de justice, assisté à des séances au tribunal. Elle a vu tout ce qui s’y joue. Dans cette affaire, c’est parole contre parole. Mila est bouleversée, Alexandre est dans le déni, et, comme son père, totalement insoucieux des drames qu’il peut provoquer. La fin, dont on ne dira rien, n’est pas morale, comme souvent dans la vie réelle.