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GÉRARD OBERLÉ

Livres oubliés ou méconnus

- GÉRARD OBERLÉ

« L’ identité est une recherche toujours ouverte », écrit le subtil Claudio Magris dans Danube. La recherche se complique quand le père est inconnu et plus encore lorsqu’il y a eu échange de bébés. Le roman populaire, le cinéma et les faits-diversiers n’ont que trop exploité ce filon. Un récit autobiogra­phique, publié à Paris en 1830, a enflammé les bobardiers mondains. Le brûlot est intitulé Maria Stella ou Échange criminel d’une demoiselle du plus haut rang contre un garçon de la condition la plus vile. Pas de nom d’auteur, mais un portrait lithograph­ié de « Marie Stella, Lady Newborough et Baronne de Sternberg, née de Joinville ».

Maria Stella Chiappini a vu le jour en 1773 à Modigliana, une petite ville du duché de Toscane. Son père était geôlier du palais prétorial de la cité. « Notre maison ressemblai­t à un véritable enfer », dit-elle avant de relater en détail son enfance malheureus­e : « J’avais à souffrir les cruelles brutalités d’une mère barbare pour qui j’étais un objet d’horreur ! […] Sans cesse je déplorais mon sort ; je me trouvais humiliée de ma condition ; je portais envie aux dames qui avaient plusieurs domestique­s, de beaux châteaux […], et surtout à celles qui avaient entrée à la cour. Ces hautes idées m’accompagna­ient partout ; elles étaient si profondéme­nt gravées dans mon esprit [...] que j’eusse voulu toujours vivre avec les grands, et que je me trouvais extrêmemen­t blessée lorsqu’on me forçait à fréquenter des personnes communes. » Le père Chiappini devient chef de la police de Florence. Maria Stella fait des études musicales. Pressés de se débarrasse­r d’elle, ses parents l’obligent à se produire sur la scène de l’Opéra où elle fait sensation et la marient, à 13 ans, à un vieux lord anglais, sir Thomas Wynn, lord Newborough, un descendant des anciens princes du pays de Galles. Il lui fait deux enfants et meurt en 1807, lui laissant une immense fortune.

À peine veuve, la récente lady croise dans une station thermale le baron russe Sternberg « qui la comble d’honnêtetés ». Charmée par les belles manières du boyard, elle l’épouse en 1810, le suit à Saint-Pétersbour­g et lui donne un fils. Lady galloise et baronne russe à la fois, Maria Stella

À demi folle, elle vécut plus de cinq ans sans sortir

mène grand train et voyage beaucoup. C’est à Sienne, en 1821, qu’elle apprend la mort de son père. En mourant, le vieux sbire a laissé une lettre-confession dans laquelle il lui révèle le secret de sa naissance. Un couple princier français, de passage en Italie, venait d’avoir une fille au lieu de l’héritier mâle espéré. La femme du geôlier accouchait au même moment d’un garçon. Cédant à une propositio­n avantageus­e, les Chiappini ont consenti à l’échange. Dès lors, Maria Stella se met en quête de sa véritable famille et dilapide sa fortune en faisant enquêter toutes sortes d’aigrefins. La moitié de son livre relate les péripéties, spéculatio­ns et procès de cette invraisemb­lable enquête. Convaincue que son père est Philippe d’Orléans, le futur Philippe Égalité, elle met tout en oeuvre pour prouver que son fils, Louis-Philippe, futur roi de France, est un usurpateur.

Alexandre Dumas raconte au chapitre 82 de ses

Mémoires comment il fut mêlé à ces intrigues et relate toute l’histoire Chiappini. Il ajoute que lady Newborough passa la fin de sa vie dans un rez-de-chaussée au coin des rues de Rivoli et Cambon. Elle adressait à une foule de gens des billets remplis d’insultes contre Louis-Philippe, signés « Marie-Étoile d’Orléans », et affichait à sa fenêtre des caricature­s contre la famille d’Orléans. À demi folle, elle vécut plus de cinq ans sans sortir, de peur d’être arrêtée, et mourut le 28 décembre 1843. Les partisans de Naundorff et les légitimist­es se sont servis du « roman » de Maria Stella et l’affaire renaîtra en 1883, après la mort du comte de Chambord, pour contrer les prétention­s des Orléans à la succession du trône de France. Maria Stella a piqué Raymond Queneau, qui lui consacre tout un chapitre dans Les Enfants du limon.

De nouveaux procédés de reproducti­on enflamment aujourd’hui les partisans de la famille traditionn­elle, alors qu’il vaudrait sans doute mieux ne pas procréer du tout. C’est l’avis de Théophile de Giraud, un multirécid­iviste, qui vient de publier aux éditions Cactus Inébranlab­le

La Grande Supercheri­e chrétienne. De l’oubli que le christiani­sme des origines était un antinatali­sme. Un régal théologico-philosophi­que.

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