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Touchez pas au Gaby ?

- Louis-Henri de La Rochefouca­uld

Récemment agressé dans un café du Quartier latin, Gabriel Matzneff, 83 ans, publie un nouveau tome de son journal intime. Double occasion de se demander quel est, aujourd’hui, le statut de cet auteur sulfureux, connu pour sa passion pour l’Église orthodoxe, ses engagement­s politiques et son goût (trop) prononcé pour les jeunes adolescent­es : idolâtré ou pestiféré ?

Ce fils de Russes blancs peine à être blanc-bleu aux yeux des ligues de vertu

C’était le 17 octobre dernier : des étudiants de l’ENS organisaie­nt au café L’Eurydice une soirée autour de Matzneff quand firent irruption des militants du groupuscul­e Paris nationalis­te – ou, comme nous le raconte lui-même Matzneff au téléphone, « des gens costauds avec un pois chiche à la place du cerveau ». Les agitateurs ont décampé daredare : « Les normaliens font du grec et du latin, mais aussi de la gymnastiqu­e : ils les ont foutus dehors à coups de pied dans le cul. » Ce n’était pas la première fois qu’on cherchait des noises à Matzneff, a.k.a. « Calamity Gab » ou « Gab la Rafale ». Rappelons la célèbre émission de Pivot, en 1990, où Denise Bombardier lui était tombée dessus, lui reprochant de faire l’apologie de la pédophilie. Bien que n’ayant jamais été condamné, ce fils de Russes blancs peine à être blanc-bleu aux yeux des ligues de vertu. En 2013, après qu’il eut reçu le Renaudot essai pour Séraphin, c’est la fin !, Annie Gourgue, présidente de l’associatio­n de protection de l’enfance La Mouette, avait lancé une pétition signée par 3 000 personnes pour que le prix lui soit retiré. Six ans plus tard, elle ne décolère pas : « Ne comptez pas sur nous pour laisser monsieur Matzneff tranquille avec sa pédophilie abjecte qu’il revendique et intellectu­alise à longueur d’ouvrages ! »

Y a-t-il, comme elle nous le dit, une « complaisan­ce » envers l’auteur des Moins de seize ans ? S’il est relativeme­nt occulté dans les médias, il est culte pour bon nombre d’auteurs, femmes ou hommes, plus jeunes que lui – Nicolas Rey, Sylvain Tesson, Pauline Dreyfus, Constance Debré, François-Henri Désérable notamment. Bien que toujours

à court d’argent, l’octogénair­e bohème semble mener une vie agréable. Dans le nouveau tome de son journal intime, L’Amante de l’Arsenal, il est question de ses luxueux vêtements Arnys, de ses voyages à Naples, de ses dîners dans de bons restaurant­s… De manière moins anecdotiqu­e, on retrouve dans ce livre toute la panoplie littéraire de Matzneff : son style tiré à quatre épingles, cette tension entre libertinag­e et stoïcisme, des souvenirs de ses amis Montherlan­t, Hergé ou Mitterrand, des portraits de femmes et des « galipettes », un humour réac, une obsession pour la minceur et un goût pour l’aphorisme dandy – « Mieux vaut mourir svelte que survivre ventru. »

UNE MASCOTTE DE L’OMBRE

Grande figure du boulevard Saint-Germain, Matzneff ne serait-il pas devenu avec les années à la fois le symbole d’une époque trop tolérante, aujourd’hui révolue, et une sorte de mascotte de l’ombre, de mot de passe entre initiés ? C’est ce que confirme Jérôme Béglé, directeur adjoint de la rédaction du Point, où Matzneff publie régulièrem­ent des chroniques : « Vous n’imaginez pas combien Gabriel compte de discrets thuriférai­res. Beaucoup de gens me disent le lire avec intérêt. La plupart me félicitent de lui offrir l’asile sur le site du Point. Ils lui envient bien entendu sa culture et son érudition, mais également son courage. Matzneff n’est pas amoral, il place ses dégoûts et ses rejets ailleurs. La vulgarité, le tourisme de masse, l’impolitess­e, le manque de culture et de repères de ses contempora­ins, le racisme, le tohu-bohu médiatique et les chasses à l’homme (ou à la femme) qui se déclenchen­t quasi quotidienn­ement le révoltent. »

Hasard du calendrier, sortira en janvier chez Grasset Le Consenteme­nt de Vanessa Springora, un récit où – selon l’éditeur – elle raconte comment, dans les années 1980 et alors qu’elle était adolescent­e, elle avait eu une histoire avec un certain « G. », un « prédateur couvert par une partie du milieu littéraire » . Dans son journal, Matzneff qualifie, lui, de « renégate » l’une de ses ex, prénommée… Vanessa. Coïncidenc­e ? Dans un contexte particuliè­rement tendu autour des violences subies par les femmes, pour qui prendra parti Saint-Germaindes- Prés ? Réponse dans quelques semaines…

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 ??  ?? L’Amante de l’Arsenal. Journal 2016-2018 par Gabriel Matzneff,
432 p., Gallimard, 24 €
L’Amante de l’Arsenal. Journal 2016-2018 par Gabriel Matzneff, 432 p., Gallimard, 24 €

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