Trahir, c’est aussi être fidèle
COMICS Véritable cassetête en termes d’adaptation, Watchmen, d’Alan Moore et Dave Gibbons, aura découragé bien des cinéastes avant que Zack Snyder n’en fasse une version très (trop ?) littérale. Mais était-ce le seul moyen de rendre hommage à ce chef-d’oeuvre de la pop culture ? Une question délicate à laquelle la version télévisée imaginée par Damon Lindelof (Lost, The Leftovers) répond par la négative. Située trente ans après les tragiques événements qui ont conclu le comics, la série se sert de la mythologie Watchmen comme prétexte, davantage que comme moteur narratif.
En prenant comme toile de fond le massacre raciste de Tulsa en1921, cette adaptation dresse un terrifiant miroir de l’Amérique d’aujourd’hui, gangrenée par la peur et la xénophobie. Se servant clairement de Watchmen comme d’un astucieux cheval de Troie, Lindelof en extrait la substantifique moelle pour mieux y injecter ses obsessions propres et offrir une nouvelle lecture, tour à tour cryptique et mélancolique. Bien que bardé de références astucieusement disséminées, les deux oeuvres sont totalement indépendantes l’une de l’autre. Pas de quoi crier à la trahison tant elles se rejoignent dans leurs propos. Et c’est bien là que se situe l’intelligence de la série qui s’éloigne de son matériau d’origine pour mieux le rejoindre thématiquement et, de ce fait, mettre en exergue son caractère intemporel.
Ainsi la série Watchmen et son modèle littéraire se retrouvent- ils dans leur démystification de la figure du super- héros et de son ancrage sociétal, faisant de lui le spectateur plus que l’acteur d’une histoire amenée à se répéter encore et encore.
Par ce subtil effet de manche, le créateur de The Leftovers démontre que, parfois, le plus beau des hommages doit passer par une apparente trahison. Nécessitant tout de même une réelle connaissance du matériau d’origine pour en maîtriser tous les tenants et aboutissants, la série reste suffisamment accessible pour servir de belle porte d’entrée au chefd’oeuvre de Moore et Gibbons.