Perfection triangulaire
Auteur, metteur en scène et distribution… Au théâtre, comme au cinéma d’ailleurs, succès ou échecs dépendent le plus souvent de ce trio.
ÀParis, en ce moment, deux salles du privé ont ainsi trouvé leur formation parfaite. Le théâtre Édouard-VII a mis à l’affiche L’Heureux Stratagème de Marivaux, variation pleine de charme sur l’infidélité. Afin de le soustraire à une marquise de ses rivales, une comtesse entreprend de séduire un chevalier qu’elle n’aime pas au détriment de l’homme qu’elle aime et qui l’aime passionnément. Cette pièce écrite en 1733 n’est sans doute pas la plus originale, mais l’une des plus drôles du dramaturge. Encore faut-il savoir en faire éclore sa potentialité comique. Le metteur en scène Ladislas Chollat a eu ce talent, sans sacrifier la subtilité et l’élégance requises pour faire entendre l’écriture, si délicate et si précise, de
Marivaux. Et la bonne idée de transposer l’action dans les Années folles. Le fouillis exubérant et chatoyant du décor sied à merveille aux parties de cache-cache sentimentaux de la pièce. Très bien choisis, les comédiens sont visiblement heureux d’être là. De Sylvie Testud, délicieusement frivole, à Suzanne Clément, malicieusement piquante, d’Éric Elmosnino, amoureux douloureux, à Jérôme Robart, gascon truculent, tous sont à leur meilleur. Le théâtre ÉdouardVII ne désemplit pas.
Celui du Montparnasse non plus, qui accueille, pour la première fois en France, Rouge, une pièce du dramaturge John Logan. Remarquablement traduite par Jean-Marie Besset, elle met en scène, dans le New York de la fin des années 1950, le peintre Mark Rothko s’apprêtant à travailler sur une fresque pour un restaurant à la mode. Et qui s’interroge sur le bien-fondé d’honorer cette commande destinée à un lieu aussi trivial. Face à lui, dans son atelier (superbement reconstitué par le scénographe Jacques Gabel), un jeune apprenti écoute ses invectives et lui apporte aussi, par moments, la contradiction. Dirigés d’une main ferme et précise par Jérémie Lippmann, Niels Arestrup et Alexis Moncorgé, les deux protagonistes de cette pièce aux six Tony Awards, sont magnifiques de sincérité et d’intériorité. Niels Arestrup, surtout. Ravagé, à fleur de peau, nerfs et tendresse à vif, le comédien envoûte.
■ L’Heureux Stratagème de
Marivaux, mise en scène par Ladislas Chollat, Théâtre Édouard
VII, Paris 9e. Du mardi au vendredi à 21 h, samedi à 16 h et 21 h, dimanche à 16 heures.
Rouge de John Logan, mise
■ en scène par Jérémie Lippmann, Théâtre Montparnasse, Paris 14e.
Du mardi au samedi à 21 h, le dimanche à 15 h 30.