ENTREZ DANS LA DÉMENCE
S’emparant d’un fait historique ignoré, Victoria Mas nous plonge dans la lugubre réalité des femmes internées de la fin du xixe siècle, à Paris. Avec ce premier roman aux accents féministes, la jeune auteure a été propulsée au rang de révélation de la rentrée. Et de l’année.
on livre pour titre
Le Bal des folles. Et pourtant, tout montre une certaine sagesse chez Victoria Mas, notamment dans la façon dont elle maîtrise un tempo qui s’est bigrement accéléré depuis la rentrée. En cette fin octobre, c’est avec une élégante valise à roulettes qu’elle arrive à notre rendez-vous. Car la primo-romancière a enchaîné les festivals, les salons littéraires et les séances de dédicaces depuis qu’elle a reçu le prix Stanislas de la ville de Nancy – dès le premier salon de la rentrée –, le prix Première Plume, le prix du Patrimoine, et effectué moult passages sur des plateaux de télévision. Encore présent sur les deuxièmes listes du Femina et du Renaudot, son livre totalisait 43 394 exemplaires vendus (chiffres Edistat). Depuis deux mois, tout s’est donc précipité pour la trentenaire, devenue l’une des révélations de l’année. Cependant, le pragmatisme l’emporte toujours quand elle regarde dans le rétroviseur : « L’histoire qui m’a touchée, les personnages que j’ai aimés et accompagnés plaisent aux gens autant qu’ils m’ont plu à moi. C’est cela qui donne de la confiance, qui galvanise. Je le prends comme un encouragement pour continuer à écrire, puisque c’est ce à quoi je me destine. »
INTERPELLÉE PAR LES LIEUX
Le hasard a voulu que ce soit au printemps dernier, au moment où Jeanne Mas, la chanteuse star des années 1980, publiait son livre autobiographique Réminiscences (Flammarion), qu’on ait commencé à entendre parler de sa fille. Victoria, donc. Qui s’apprêtait à faire paraître son premier roman chez Albin Michel. Née au Chesnay (Yvelines) en 1987, elle a passé huit ans de son enfance aux États-Unis, où sa mère vit depuis longtemps. Mais Victoria est ensuite revenue en France et a fait son « bout de chemin » : après un master en littérature à l’université de la Sorbonne, elle travaille comme assistante de production dans l’audiovisuel, puis comme rédactrice de procès-verbaux de réunions pour des entreprises. Et il y eut ce jour de 2017 où, en se baladant « par hasard » du côté de la Salpêtrière, elle s’est sentie « interpellée par les lieux » : « Il y avait quelque chose dans la pierre et le bâtiment qui m’a frappée. Ça semblait lourd, chargé. Je me suis alors intéressée à l’histoire de cet hôpital. »
MISE EN LUMIÈRE MÉRITÉE
Neuf mois plus tard, elle achevait ce roman très culotté sur l’hospice de la Salpêtrière, en 1885. À l’époque où le célèbre neurologue Jean-Martin Charcot y exerçait et donnait ce « bal des folles » : convoquant le Tout-Paris, il déguisait et exhibait les épileptiques, les hystériques, toutes ces « folles » qui étaient internées. « Je me suis sentie concernée en tant que femme,
avoue- t- elle. J’ai ressenti une profonde empathie. Je me suis dit que, si j’avais vécu à cette époque, je me serais peut-être retrouvée entre les murs de cet endroit. » Le roman dépeint, à travers plusieurs personnages, la vie quotidienne de l’hospice. Tout en brossant une peinture du Paris d’après la Commune. « Ce qui m’intéressait avant tout, c’est le rapport que la société avait alors avec les “malades mentaux”,
avance l’auteure. Et, dans un second temps, la question de la place des femmes. » Car, à la fin du xix e siècle comme au début du xxi e, « l’esprit et le corps de la femme fascinent et troublent encore. Les hommes veulent en disposer, mais ils ne les comprennent pas. Charcot ne sexualisait pas ses “folles”, mais il les mettait en avant et les érotisait ».
Curieusement, aucune fiction n’avait encore abordé cette étrangeté. Fait historique devenu roman, Le Bal des folles est donc un défi magistralement relevé. Que la fête continue pour elle !
n Le Bal des folles par Victoria Mas (Albin Michel)