C’EST QUOI, CE BORDEL ?
Évocation controversée de l’expérience de l’auteure dans des maisons closes outre-Rhin, le livre-choc d’Emma Becker aura montré la naissance d’une plume de talent et l’envers d’un décor « interdit ».
Pour répondre à la question, Emma Becker a choisi l’immersion. La Française, qui vit à Berlin depuis six ans, est entrée dans une maison close de la capitale allemande. Une idée, une envie, un projet dingue nés quand elle commençait à « sentir » la ville, « lors de [ses] balades nocturnes et solitaires sur les grandes artères où fleurissent les prostituées ». Après s’être posée au coin de ces avenues à observer ces femmes, l’envie lui vient de les raconter. Elle choisit un « bordel bourgeois » et y plonge pendant deux ans et demi pour décrire les prostituées, les macs, la patronne, mais aussi les clients. Jusqu’à devenir « l’une d’elles ». Elle nous fait progressivement entrer dans les lieux, par des descriptions de couloirs, de salons d’hommes, de salles de baise ou de bains. Elle relate ses séances aussi bien que ses discussions avec les clients. Brosse le portrait de celles qui exercent ici, sans héroïsme ni misérabilisme. Nulle apologie : en Allemagne, la prostitution est légale, et il s’agit donc de montrer des travailleuses. Dans la « Maison », celles-ci ne sont d’ailleurs jamais obligées de dire oui.
Bien qu’elle ait recours à une narratrice imaginaire, Justine, c’est bien l’auteure elle-même qui recompose son immersion dans un livre qui oscille entre l’enquête « inside » et le récit subjectif d’une expérience risquée – personnellement comme littérairement. C’est un ouvrage subversif, qui traite d’un corps sexualisé, mais qui est aussi politique et social. « Je crois qu’il faut beaucoup d’amour pour faire ce métier. Le mien. Il faut avoir été soi-même l’une d’elles, bien sûr. Avant la bienveillance, avant le sens du commerce, avant le bon goût – c’est de l’amour qu’il faut. Personne ne peut travailler bien sans amour », dit ici l’une des prostituées. Éclairant d’un angle amoral la notion de sexe tarifé, La Maison donne une voix à tous ces corps du féminin, et du féminisme. n La Maison par Emma Becker (Flammarion)