CONFESSION D’UN ENFANT DU SIÈCLE
L’écrivain et réalisateur allemand Chris Kraus retrace la noirceur d’un xxe siècle où ses compatriotes se sont transformés en bourreaux.
Le premier roman traduit en France de Chris Kraus est l’un des événements littéraires de cette année 2019. Neuf cents pages, une fresque sur près de soixantedix ans, des dizaines de personnages, La Fabrique des salauds impressionne autant par sa taille que par son ambition, et n’est pas sans rappeler Les Bienveillantes de Jonathan Littell. Il aura fallu une funeste découverte, celle du passé nazi de son grand-père, pour que l’écrivain et réalisateur allemand décide de replonger dans les heures noires de son pays. Balayant presque un siècle d’histoire de l’Allemagne (de 1905 à 1975), il retrace le destin contrarié de Koja, un jeune Letton qui, avec son frère Hub et sa soeur adoptive Ev, est entraîné bien malgré lui dans le tourbillon d’un xxe siècle dévastateur.
La montée inéluctable du nazisme, l’enrôlement dans la Wehrmacht, une vie d’agent double pendant la guerre froide, on parcourt avec eux de terrifiantes zones d’ombre.
Fresque historique, roman d’espionnage, fable politique et philosophique, le lecteur se perd avec délectation dans ce labyrinthe littéraire. En retraçant l’itinéraire tragique d’un homme normal devenu un monstre, Chris Kraus pervertit habilement le modèle classique du roman de formation et s’inscrit dans la lignée prestigieuse de ses idoles, Gabriel García Márquez et Peter Esterházy. Faisant fi de la polémique, il brise par la même occasion les dernières réticences de son pays à regarder en arrière.
n La Fabrique des salauds par Chris Kraus (Belfond)