ROYAUME DÉSUNI
Quand le romantique William Boyd décrit un amour contrarié, l’insaisissable Michael Ondaatje explore les bas-fonds du Londres d’après-guerre, alors que le facétieux Jonathan Coe et la fantaisiste Ali Smith nous réjouissent avec leurs chroniques sociales marquées par le Brexit.
Les années passent et William Boyd demeure le plus romanesque des romanciers anglais de sa génération. Son dernier opus, L’amour est aveugle, est une fois encore l’un de ses meilleurs crus. Sans doute grâce à la force de son héros, le génial accordeur de piano Brodie Moncur, dont l’oreille et les mains font immanquablement des merveilles sur les instruments qu’on lui confie. Ce jeune homme décidé quitte son Écosse natale et son rugueux père pour s’installer à Paris. Avant de connaître maintes aventures qui le mèneront successivement à Saint-Pétersbourg, Nice, Genève, Trieste ou le long des côtes indiennes, sur les traces de celle dont il est tombé fou amoureux : la soprano russe Lika Blum, d’évidence l’un des plus séduisants personnages féminins nés sous la plume de l’auteur des Nouvelles Confessions et de À livre ouvert. Au programme, des coups de théâtre, du suspense et de l’émotion. Avec L’amour est aveugle, Boyd prouve encore qu’il est un conteur né, gorgé de souffle et de talent.
UN NOUVEAU COUP DE MAÎTRE
D’abord couronné par le Man Booker Prize en 1992 puis par le Golden Man Booker en 2018 pour son roman culte Le Patient anglais, le Canadien Michael Ondaatje a bien eu raison de se projeter dans le Londres de l’immédiat aprèsguerre le temps d’Ombres sur la Tamise, son nouveau coup de maître. Il y a quelque chose de résolument modianesque dans les tribulations de ses deux personnages, Nathaniel et Rachel Williams. Un frère et une soeur de 14 et 16 ans qui se retrouvent seuls dans la capitale britannique en pleine renaissance, après que leurs parents leur ont annoncé qu’ils partaient vivre un an sans eux à Singapour. L’occasion pour Nathaniel et Rachel de découvrir les basfonds londoniens avec leurs courses de lévriers et leurs maisons vides. Mais également de fréquenter des individus aussi mystérieux et inquiétants que le « Papillon de nuit », leur tuteur, ou le « Dard de Pimlico », un boxeur poids moyen…
SANS JUGEMENT ET SANS PATHOS
Jonathan Coe, lui, vient de signer son grand roman de la maturité avec Le Coeur de l’Angleterre. Une balade douceamère entre Londres et sa ville natale de Birmingham, entre l’année 2006 et le coup de tonnerre du Brexit. Pour cela, Coe a choisi de réactiver des personnages déjà croisés dans Bienvenue au club et Le Cercle fermé, tout en en créant d’autres aussi attachants et complexes. Chacun d’entre eux évolue dans un pays qui s’est considérablement durci au fil des années et des mutations. Une Angleterre que l’auteur de La Maison du sommeil regarde sans jugement et sans pathos. Comme il regarde ses protagonistes essayer d’avancer du mieux qu’ils peuvent, d’aimer, de créer. Parfois en se trompant, parfois en se retrouvant et toujours en sentant les effets du temps qui passe.
LA SOCIÉTÉ DU MENSONGE
L’Écossaise Ali Smith a conquis le public français avec des romans tels Hôtel univers ou Comment être double. Automne, qui fut en lice pour le Man Booker Prize, ouvre de la meilleure des manières un cycle romanesque qui sera suivi d’Hiver, de Printemps et d’Été. Paru en Angleterre juste après le référendum de juin 2016 sur l’Union européenne, Automne a un héros peu banal. Quand démarre le roman, en 2006, Daniel Gluck a 101 ans. L’ancien compositeur est visité dans sa maison de retraite par Elisabeth, une trentenaire qui vient lui faire la lecture. Daniel connaît Elisabeth depuis sa tendre enfance, il venait la garder quand sa mère était absente. À partir de cette base, Ali Smith déploie toute sa fantaisie, tout son art du collage, regardant une société anglaise qui s’est enlisée dans le mensonge. En montrant au passage combien le goût pour l’art, la musique et la littérature peut vous porter.
■ L’amour est aveugle par William Boyd (Seuil)
■ Ombres sur la Tamise par Michael Ondaatje (L’Olivier)
■ Le Coeur de l’Angleterre par Jonathan Coe (Gallimard)
■ Automne par Ali Smith (Grasset)