UN ACADÉMICIEN DÉSORIENTÉ
Amin Maalouf serait-il « désorienté » ? Au sens propre, sans l’ombre d’un doute. L’académicien n’a-t-il pas été écarté de son Orient natal par la guerre civile libanaise ? « Déconcerté », autre signification du mot, l’ancien grand reporter au Vietnam l’est tout autant, lui qui ne cesse de traquer Le Dérèglement du monde et Les Identités meurtrières, en quête d’une « réorientation » apaisée. Le Naufrage des civilisations relève du requiem. « Où est passé le monde de nos rêves ? Quel est le monde qui vient ? » s’interroge l’auteur dans un tour d’horizon planétaire implacable. L’Amérique a perdu toute crédibilité morale. L’Europe n’a plus la force et la volonté pour être une « boussole morale planétaire » portée par l’esprit des Lumières. Quant au monde arabomusulman, il ne cesse de sombrer depuis la déroute de la guerre des SixJours (1967), suivie de celle du nationalisme arabe, et de l’émergence de l’islamisme politique. « La civilisation mourante dans le bras de laquelle [il] est né » a reçu un coup de boutoir fatal en 1979, l’année du « grand basculement » : celle de la prise du pouvoir par les mollahs à Téhéran, prodrome d’un nouveau modèle politique, et de l’arrivée de Margaret Thatcher au 10 Downing Street, porteuse d’une « révolution conservatrice », qui allait détricoter l’Étatprovidence et bousculer les rapports sociaux. Nostalgique, Maalouf ? S’il s’en défend, il ne déplore pas moins la disparition de la coexistence des communautés à la mode levantine, en oeuvre dans le Liban et l’Égypte de son enfance. Mais c’est aussitôt pour mieux envisager les futurs progrès de l’humanité – il en est convaincu – rendus possibles par les sciences et la technologie. Lucide, il se fait un devoir de l’être ; désespéré, jamais.
n Le Naufrage des civilisations par
Amin Maalouf (Grasset)