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UN ÉROS MALGRÉ LUI

Alors que la notion de désir est à présent supprimée des nouveaux programmes de terminale, l’essai vigoureux et clair de Frédéric Laupies, spécialist­e de la philosophi­e morale et politique, traite de cette notion complexe et pourtant commune.

- Jean Montenot

Que l’on se plaigne de sa tyrannie ou que l’on déplore son absence, le désir ne taraude-t-il pas en effet chacun d’entre nous ? Le titre de l’ouvrage sonne comme un oxymore. Quelle sagesse pourrait donc procéder du désir ? N’est-il pas, par son caractère même, rétif à la sagesse ?

Le lecteur du Banquet de Platon sait qu’il y a Éros et Éros : un désir qui, par son illimitati­on et son orientatio­n tous azimuts vers des objets souvent trompeurs, tend à dissoudre l’individu, et un désir droit tourné vers l’idée structuran­te du Bien, ce dernier menant à la sagesse – celle que Diotime enseigna à Socrate. La Sagesse du désir que dessine Frédéric Laupies est d’un autre ordre. Elle procède du désir même repensé comme dimension fondamenta­le de l’existence humaine. L’analyse des paradoxes et des apories classiques le conduit à rappeler que le désir n’est pas une modalité parmi d’autres de la conscience du sujet. S’il a ainsi à voir avec le manque, ce n’est pas parce qu’il « serait la conscience de quelque chose qui manque », mais plus fondamenta­lement parce qu’il est « la

conscience du manque constituti­f de la

conscience ». Au-delà de la formule, il faut comprendre qu’il est élan vers le désirable, non pour qu’un sujet imbu de son illusoire toute-puissance mette la main sur l’objet de son désir et en tire une satisfacti­on gloutonne, mais parce qu’il est essentiell­ement ouverture au monde et au mystère de sa donation. Le désir est ce qui fait, pour celui qui sait être à son écoute, que le monde ne se réduit pas à un ensemble de données objectives, qu’il est aussi appel de sens, expérience de la finitude et de la limitation.

De remarquabl­es analyses de la sexualité et de la mystique viennent étayer cette thèse nourrie de références classiques bien choisies. Bref, un livre de philosophi­e qui invite à s’interroger et qui pense à partir de son questionne­ment. Ce n’est pas si fréquent.

n Sagesse du désir par Frédéric Laupies (Salvator)

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