LA CHAIR ÉLECTRIQUE
Interné après une dépression, Marc Grinsztajn en a tiré un récit troublant sur la thérapie par électrochocs et sur ses conséquences irréversibles.
Qu’il sonne bien, ce mot de « sismothérapie ». Pourtant ce fut l’horreur, ces électrochocs antédiluviens des années 1930 et de l’après-guerre. Il suffit d’avoir vu le visage d’Antonin Artaud, édenté, émacié, fripé, pour comprendre le sérieux de la chose. Aujourd’hui, il n’existe aucun hôpital psychiatrique sans un service de sismothérapie. Dans Chocs, Marc Grinsztajn raconte son amnésie, sa perte de mémoire partielle, ses trous noirs consécutifs à des séances d’électrochocs. Une palpitante gueule cassée de la psychiatrie qui oublie codes, chiffres, visages et événements plus ou moins proches. C’est vrai, il faut avoir vu une fois cette machine infernale, bien de chez nous, avec ses fils, ses électrodes, pour sentir passer le frisson. N’oublions pas que l’engin fut mis au point par des psychiatres mussoliniens pour étourdir les porcs à l’abattoir. L’auteur réserve un sort à cette catégorie de médecins, cognant contre les anciens pontes maréchalistes à noeud papillon, sans épargner les éminences héroïques de la psychiatrie institutionnelle – tous anciens résistants et communistes – qui « électrochoquèrent » à tour de bras sous l’Occupation et après la guerre.
Mais la machine fait aussi des miracles, ressuscite des patients éteints, des personnes âgées profondément déprimées. Grinsztajn étincelle dans ce genre si singulier, le « roman psychiatrique », qui pulvérise les petits récits égotistes et complaisants. Un livre burlesque et vif, dont on sort en se demandant si c’est du lard ou du cochon, une expérience réellement vécue ou un récit fictif, appuyé sur une érudition impeccable.
n Chocs par Marc Grinsztajn (Grasset)