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Frédéric Beigbeder est-il démodé ?

C’est la phobie de tout (ancien) publicitai­re : ne plus être dans le coup. Dans son nouveau roman, Beigbeder ne parle que de ça. Et si la ringardise était ce qu’il pouvait lui arriver de mieux ?

- Louis-Henri de La Rochefouca­uld

L’ancien branché était devenu grand public

C’ est un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître : entre l’an 2000 (son best-seller, 99 francs, vendu à plus de 400 000 exemplaire­s) et 2009 ( Un roman français, prix Renaudot), Frédéric Beigbeder fut une vedette. Pilier de toutes les boîtes de nuit de Paris depuis les années 1980 et fondateur du prix de Flore en 1994, l’ancien branché était devenu grand public. Ses livres cartonnaie­nt, sa romance avec Laura Smet faisait la une de Paris Match, Jean Dujardin l’incarnait au cinéma dans un film à succès, il était chroniqueu­r en vue au Grand Journal de Michel Denisot – en ces temps reculés, les gens regardaien­t encore la télévision… Brillant animal médiatique, jeune pape des lettres, il était une sorte de Philippe Sollers nouvelle génération, ayant remplacé Aragon par Ardisson et Le Monde des livres par Canal+. On pensait que cela durerait toujours. Hélas pour lui, les années 2010 furent moins fastes : en librairie, ses chiffres de ventes ont lourdement chuté. Pour la première fois de sa vie, la mascotte de Saint-Germaindes- Prés a quitté son quartier général pour s’installer au Pays basque, où il a eu deux enfants avec sa troisième épouse. On imagine alors Beigbeder cherchant de la cocaïne et tombant sur du lait maternisé… Quinquagén­aire, cravaté comme Jean d’Ormesson et barbu comme François Nourissier, il aurait pu se concentrer sur ses livres et sa critique au Figaro Magazine, prisée des lecteurs de l’hebdomadai­re. Incorrigib­le, il a replongé dans les médias en 2016, en ayant l’idée folle de venir lire un billet une fois par semaine à l’antenne de France Inter. Les choses se sont gâtées avec l’arrivée de Nicolas Demorand à la tête de la matinale.

Fin 2018, Beigbeder se présentait ivre au micro, sans avoir rien préparé. Demorand, qui n’est pas réputé pour sa charité, lui fit comprendre qu’il pouvait prendre la porte. De cette déplaisant­e expérience, Beigbeder a tiré le point de départ de son nouveau roman, L’homme qui pleure de rire (titre qui existe aussi sous la forme d’un émoticône). Il y met en scène son alter ego de 99 francs et d’Au secours pardon, Octave Parango, « attardé mental dont la barbe blanchit à vue d’oeil » , qui, après avoir travaillé dans la pub et la mode, cachetonne désormais à la radio. Les lecteurs qui s’attendraie­nt à une satire au vitriol sur les coulisses de France Inter seront déçus : à part Demorand, Beigbeder n’égratigne personne. Le vrai thème du livre, le voici : « Octave a eu sa chance, son heure d’apothéose, mais elle est derrière lui. » Et cent pages plus loin : « Personne ne m’a préparé pour 2020, je n’étais pas prêt, je ne suis pas conformé pour cette décennie. » Il est vrai que faire des blagues sur ses Berluti est un peu à côté de la plaque à l’heure des Gilets jaunes, et que regretter ses orgies tarifées à Moscou sonne mal au moment du scandale Matzneff.

De JoeyStarr aux décadendis­tes

Reprenant la forme de Vacances dans le coma, L’homme qui pleure de rire se passe en une nuit blanche, à l’automne 2018, autour de la place de l’Étoile. Alors que les Champs-Élysées sont mis à sac par des gens qui n’ont pas été publiés chez Grasset par Bernard- Henri Lévy, Beigbeder/ Parango fait la tournée des clubs, déplore son obsolescen­ce, se souvient de ses fêtes passées et se prépare à son sabordage en direct quelques heures plus tard. En cours de route, il croise d’autres célébrités apparues dans les années 1990, certaines encore au sommet de leur art (Daft Punk), d’autres sucrant les fraises depuis des lustres (JoeyStarr). Il rencontre aussi une étudiante spécialist­e des décadentis­tes, à qui il fait cette confession, à propos des héros de Huysmans : « Je préfère Durtal à des Esseintes. Au moins il a un but : le monastère. » Il avoue ensuite à la jeune fille « un besoin de génuflexio­n ». À quand la veine bénédictin­e de Beigbeder ?

L’HOMME QUI PLEURE DE RIRE PAR FRÉDÉRIC BEIGBEDER, 320 P., GRASSET, 20,90 €

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