BAISSER DE RIDEAU
Reza ne désarme pas. Après le prix Renaudot obtenu en 2016 pour Babylone, la voilà qui dépeint le portrait d’une jeune fille un peu obscure, qui a cru un temps en son étoile. Anne-Marie la Beauté raconte l’histoire d’une actrice ratée qui, à la mort de son amie de scène, Giselle Fayolle, se remémore ses débuts. Son enfance dans le Nord, les premières auditions au théâtre de Clichy. Avec elle, on parcourt le Paris modianesque des années 1960.
Anne-Marie s’est toujours faite à l’idée que l’ennemi fait partie de l’amour. Aujourd’hui, elle est veuve, a une prothèse à la place du genou, et se débrouille avec sa solitude. Le livre est dédié à André Marcon, comédien profond, qui portera le texte au théâtre de la Colline en mars prochain. L’auteure a toujours eu un regard acide et sarcastique sur ses contemporains. Mais chez Yasmina Reza, derrière le rire grinçant et le désenchantement percent souvent les sentiments et l’émotion. Notamment quand elle écrit sur ses origines, son père iranien, sa mère violoniste juive venue de Hongrie, dans Hammerklavier, par exemple. Le charme slave, le regard qui se trouble, Yasmina Reza a fini par accepter que ses pièces, Conversation après un enterrement en 1987, Art en 1994, ou Bella Figura, la dernière en date, soient plus appréciées à l’étranger qu’en France. Véritable auteure dramatique, son oeuvre est traduite en trentecinq langues et jouée par les troupes les plus exigeantes en Allemagne ou en Angleterre. Mais jamais encore à la Comédie-Française. Mépris pour le succès qui fut colossal pour Art et que l’on reprend encore aujourd’hui ?
★★★★☆ Anne-Marie la Beauté par Yasmina Reza, 96 p., Flammarion, 12 €