Délivrez-nous du Malte
Après trois ans d’absence, le romancier et nouvelliste Marcus Malte signe un retour remarqué avec une comédie sociale grinçante sur la vacuité de notre monde moderne.
★★★☆☆
AIRES PAR MARCUS MALTE, 496 P., ZULMA, 24 €
Paradoxalement, il est souvent difficile pour un auteur de se relever d’un prix littéraire. Faut- il persévérer dans la même veine, dans l’espoir de faire encore mieux, ou alors surprendre en prenant son lecteur à contre- pied ? Pour Marcus Malte, la question ne s’est jamais posée. Depuis son entrée en littérature, le romancier s’est taillé une solide réputation d’auteur inclassable, imprévisible, prenant goût à dynamiter les codes et à dérouter le lecteur. Son prix Femina, il le doit d’ailleurs à ce don d’ubiquité littéraire. Le Garçon (2016) était un roman à nul autre pareil, à la fois récit d’initiation, roman des premières amours et fresque historique engagée. Pas étonnant, alors, de voir Marcus Malte changer radicalement de registre dans son nouveau roman. Avec Aires, il s’empare d’un lieu symbolique de nos sociétés modernes pour bâtir un conte cruel. Les autoroutes, ces bandes de bitume interminables, répétitives, hors du temps, qui offrent aux voyageurs un moment de réflexion salutaire ou dévastateur.
Humour noir et ravageur
Au détour des aires de repos, sortes de parenthèses désenchantées où s’observent les usagers de l’asphalte, on croise des dizaines de personnages : un écrivain raté, éternel voyageur en quête d’un ailleurs plus accueillant, une « working girl » aux dents longues qui a dû jouer des coudes pour s’imposer dans un monde d’hommes, ou encore un père de famille croulant sous les dettes, qui souhaite partager un moment « loin des emmerdes » avec son fils. Tous sont les victimes consentantes des inepties de nos sociétés modernes. Alors, il fallait bien qu’un jour leur route se croise. Dans ce roman polyphonique aux allures de satire sociale, l’auteur fait étalage d’un talent nouveau. En brossant le portrait désabusé d’un monde qui marche sur la tête, il déploie un humour noir ravageur, une écriture brûlante où la vie libère ses arômes tragicomiques. Un roman pur Malte.