Ces voix qui s’élèvent
Anciennement scénariste pour la télévision, Cho Nam-joo s’est inspirée de son expérience personnelle pour décrire la discrimination exercée à l’encontre des femmes dans la société sud-coréenne.
★★★☆☆
KIM JIYOUNG, NÉE EN 1982 PAR CHO NAM-JOO, TRADUIT DU CORÉEN PAR PIERRE BISIOU ET KYUNGRAN CHOI, 216 P., NIL, 18,50 €
Séoul, son métro à l’heure de pointe. Kim Jiyoung est enceinte, mais personne ne se lève pour lui céder sa place. Les regards sont fuyants : son ventre gêne. Pour ne plus avoir à supporter cela, Kim Jiyoung quitte un travail qu’elle aime et se consacre à sa fille, à l’image d’une femme coréenne sur cinq cette même année 2014. Son avenir professionnel remis en cause, la jeune mère glisse dans un quotidien domestique sans saveur et semble bientôt possédée par d’autres femmes exprimant, à travers sa voix, leurs regrets de n’avoir pu mener la vie qu’elles avaient espérée.
Ainsi la mère de Kim Jiyoung déplore-t-elle n’avoir pu devenir institutrice, forcée de travailler pour financer les études de ses frères puis celles de ses filles et de son dernier-né. Un fils, après deux petites et une troisième qui devait voir le jour, mais qu’elle a préféré faire « effacer » dans une clinique : « Ce n’était pas son choix, mais c’était sa responsabilité. » Enfants, Kim Jiyoung et sa soeur se contentent des seconds choix quand leur cadet semble privilégié, une prévalence masculine que l’héroïne retrouve dans ses études puis dans sa vie salariée. Renvoyée à la place que la société lui réserve depuis sa naissance, Kim Jiyoung « en avait conclu que sa lutte était vaine et avait cessé de protester ».
Radiographie de la condition féminine
Portrait d’une femme ordinaire prise au piège d’un modèle oscillant entre tradition et modernité, Kim Jiyoung, née en 1982 porte un regard sans concession sur les disparités femmes-hommes présentes en Corée du Sud comme dans toute société humaine contemporaine. Phénomène d’édition vendu à plus d’un million d’exemplaires, le roman suit la trajectoire de son héroïne, de sa naissance à sa propre maternité, offrant une impitoyable radiographie d’une condition féminine prisonnière de valeurs et de schémas préétablis contre lesquels toute résistance semble dérisoire. À l’heure où la mobilisation contre les violences et les discriminations à l’encontre des femmes rencontre une ampleur inédite, ce récit, en dépassant le prisme sud- coréen pour tendre vers l’universel, conforte l’idée selon laquelle cette lutte doit être collective avant d’être individuelle.