Les humeurs d’un continent
L’historien Ian Kershaw délivre ici une magistrale leçon d’histoire du temps présent, sur l’Europe de ces soixante dernières années.
★★★☆☆
L’ÂGE GLOBAL. EUROPE, DE 1950 À NOS JOURS (THE GLOBAL AGE. EUROPE 1950-2017) PAR IAN KERSHAW, 736 P., SEUIL, 26 €
Jusqu’où ira l’historien britannique Ian Kershaw (76 ans) dans sa course du temps ? Étudiant en histoire médiévale à Oxford, il a bifurqué vers l’histoire du nazisme après un séjour en Allemagne. Puis il a publié une biographie monumentale de Hitler en deux tomes, s’assurant une renommée mondiale. Aujourd’hui, il achève une histoire contemporaine de l’Europe jusqu’en 2017. Il s’autorise même un dégagement prospectif sur la « nouvelle ère d’insécurité » : système bancaire en crise ; Brexit ; tentations autoritaires et populistes ; changement climatique – un défi mondial ; migrations et multiculturalisme ; disparités croissantes de revenus ; insécurité, entre attentats islamistes et cyberattaques… « La seule certitude est l’incertitude »,
conclut-il avec modestie, au terme de ce pavé qui se lit comme un page turner. « Le passé est un prologue », observe un personnage de Shakespeare. Celui de Kershaw débutait, dans un premier volume, avec la Première Guerre mondiale et s’achevait au début de la guerre froide. Europe en enfer se poursuit ainsi avec ce second tome, L’Âge global.
Ce récit chronologique met en exergue les « hauts et les bas » du continent, comme le souligne le titre anglais, Roller-Coaster : littéralement « montagnes russes » . L’expression semble plus pertinente pour évoquer une Europe marquée pour la première fois par une paix durable, malgré le sang versé en Yougoslavie, Irlande du Nord et en Espagne, et, aujourd’hui, par le terrorisme islamiste. Le constat est tout autant balancé sur l’économie, où la prospérité globale est entachée par les excès du « turbo-capitalisme » et par l’apparition d’un nouveau « précariat ». Ou encore, sur la construction européenne, incapable de « créer un authentique sentiment d’identité européenne » , tandis que l’État- nation, donné pour moribond, recouvre une nouvelle vigueur. L’histoire du temps présent est un exercice parsemé de chausse-trappes. Ian Kershaw a su les éviter en n’entamant jamais sa passion de la nuance.