Les deux font la paire
Les frères Goncourt pouvaient être irritants. L’écrivain Pierre Ménard les rend attachants dans une biographie haute en couleur.
★★★★☆
LES INFRÉQUENTABLES FRÈRES GONCOURT PAR PIERRE MÉNARD, 416 P., TALLANDIER, 21,90 €
En voilà deux qui ont mauvaise réputation ! Edmond et Jules de Goncourt se prenaient pour des génies et se sont rendus odieux par leur arrogance. Si leur littérature n’a pas marqué l’Histoire d’une pierre blanche, leur nom est passé à la postérité comme aucun autre. Ils ont fondé leur académie et le plus célèbre des prix, celui que tous les auteurs rêvent encore de recevoir… ou de refuser.
Une âme unique dans deux corps
Avec son style lyrique et enlevé, Les Infréquentables Frères Goncourt guide les lecteurs dans l’intimité des deux hommes. Ils ont beau avoir neuf ans d’écart, ils sont si proches qu’on les surnomme les Gémeaux. Edmond est grave ; Jules, joyeux et charmeur. Physiquement, ils n’ont rien de commun, pourtant Théophile Gautier s’étonne de voir « une âme unique habit [er] ces deux corps. C’était une seule personne en deux volumes ». Il est vrai que les vicissitudes familiales les ont rapprochés. Leur petite soeur est morte en bas âge, le père a bientôt suivi, puis la mère enfin, les laissant à la tête d’une rente suffisante pour renoncer à la vie d’esclave qu’est le salariat. Les frères se veulent artistes. Ils appartiennent à une élite, ils le sentent, ils le savent ! Ils s’essayent d’abord à la peinture, sans grand succès. Leurs premiers livres sont loin d’être des chefs-d’oeuvre mais qu’importe. Ils persévèrent et commencent à écrire dans les journaux. Leurs vers pour le quotidien L’Éclair leur valent un procès. Trop licencieux, les Goncourt. Ils outragent bien malgré eux les bonnes moeurs et écornent leur renommée naissante.
Anticonformisme réjouissant
Rien ne les arrête cependant. Leur existence est un roman parisien au sein de la bonne société des gens de lettres et des demi-mondaines. Leur côté sales gosses est compensé par leur détermination. Leur anticonformisme est réjouissant. « Les Goncourt [n’ont] de religion que celle de la langue. L’autre, celle de Dieu, les laisse au mieux indifférents, au pire farouchement hostiles si bien que la litanie des saints ne doit pas dépasser chez ces gourmets saint Marcellin, saint Félicien et saint Nectaire. » Par sa plume virtuose, le jeune Pierre Ménard a su rendre attachants les infréquentables Goncourt.