La France en état d’urgence
C’est un pays entre explosion sociale et dérive autoritaire que décrit Emmanuel Todd dans un tableau noir comme un Soulages.
★★★☆☆
LES LUTTES DE CLASSES EN FRANCE AU XXIE SIÈCLE PAR EMMANUEL TODD, 384 P., SEUIL, 22 €
Ce nouvel essai va créer la polémique. Le tempérament d’Emmanuel Todd, sa propension au contre-pied et à la provocation n’y sont pas pour rien. Précisément, ce sont tous ces ingrédients qui suscitent la curiosité des Luttes de classes en France au xxie siècle, tentative de réponse à un double paradoxe. Près de vingt ans après l’instauration de l’euro, l’échec économique est « absolu ». L’appareil industriel a été sacrifié et le niveau de vie ne cesse de baisser. Malgré ce bilan catastrophique, la monnaie européenne n’est quasi plus contestée. Pourquoi ? Seconde question, liée : comment expliquer le déchaînement de violences, entre autres avec la politique du « Flash-Ball pour tous » inaugurée lors du mouvement des Gilets jaunes, pourtant « début d’une reconstruction morale de notre pays » ?
L’euro, voilà l’ennemi
Depuis des années, l’auteur fustige notre « rapport monétaire sadomasochiste » avec une Allemagne déterminée, dans sa « trajectoire nationaliste », à « détruire ses partenaires ». L’euro a, selon lui, accéléré la refonte sociologique du pays en quatre classes sociales, en pleine illusion sur elles-mêmes. En haut, « l’aristocratie stato-financière », qui se croit financière quand elle est étatique. En dessous, la « petite bourgeoisie », qui s’imagine en incarnation d’un monde ouvert et dynamique, alors qu’elle est en plein déclassement. Tout en bas, un prolétariat, socle électoral du Rassemblement national, qui se vit opprimé et exclu. Entre les deux, un « bloc central majoritaire », à tort appelé « classes moyennes », mais dont l’auteur avoue ne pas savoir « exactement » ce qu’il est.
Plusieurs scénarios pour l’avenir
En résumé, nous vivrions dans « un monde dont le niveau de vie et le niveau éducatif baissent, dont les espérances se réduisent et où le sentiment dominant est la peur du déclassement, une société où chaque classe méprise celle du dessous ». L’avenir ? Dans un premier scénario, un choc externe fait imploser l’euro. Malgré un tangage inéluctable, la France donne le meilleur d’elle-même, comme à chaque fois qu’elle improvise dans l’épreuve. Dans notre séparation d’avec le voisin allemand, les Américains seraient, une fois de plus, un allié salvateur. Le second scénario, fondé sur la continuité, se traduirait par une accélération de la baisse du niveau de vie. Dans un pays marqué par l’ « immaturité idéologique », ne resterait qu’une entité solide : l’État, dirigé par des gouvernants aux tendances « fascistoïdes ». À moins, bien sûr, d’une révolution, « venue de l’ensemble du corps social ».