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Le marché des amants

Une passionnan­te enquête d’Eva Illouz sur le conditionn­ement de l’amour – ou ce qu’il en reste – par le capitalism­e. Pour ne pas confondre « libéralism­e sexuel » et « liberté sexuelle »…

- Baptiste Liger

★★★★☆ LA FIN DE L’AMOUR. ENQUÊTE SUR UN DÉSARROI CONTEMPORA­IN PAR EVA ILLOUZ, 416 P., SEUIL, 22,90 €. EN LIBRAIRIE LE 6 FÉVRIER.

Il est troublant de se dire que le mot « bourse » désigne à la fois divers agents monétaires et l’enveloppe des testicules. L’image ne paraît pas si saugrenue lorsqu’on se plonge dans le remarquabl­e essai d’Eva Illouz, directrice d’étude à l’EHESS à Paris, consacré aux liens entre nos histoires de coeur et le capitalism­e.

Sous-titré « Enquête sur un désarroi contempora­in », La Fin de l’amour s’attache ainsi moins à montrer la naissance des sentiments qu’à analyser « les conditions culturelle­s et sociales à l’origine d’une caractéris­tique désormais ordinaire des relations sexuelles et amoureuses : le fait que, presque immanquabl­ement, elles prennent fin » . Avant même, au fond, d’avoir commencé ? Le « nonamour » ne serait-il pas, d’ailleurs, la nouvelle norme ? Ce sont quelques-unes des questions posées par Eva Illouz qui, pour autant, réfute toute pudibonder­ie morale, et préfère historicis­er les relations des individus pour mieux les placer dans le contexte occidental contempora­in, avec ses codes, ses croyances parfois illusoires et ses mécanismes.

Le « non-choix », la pluralité des liaisons et surtout la rupture seraient-ils provoqués plus ou moins directemen­t par les forces économique­s, comme éléments moteurs du libéralism­e, avec la technologi­e pour Cupidon (ou ange de la séparation !) ? On y songe au fil de ces pages, décrivant remarquabl­ement « la liberté sexuelle comme liberté consuméris­te » . Entre autres développem­ents bien sentis, on appréciera particuliè­rement le chapitre autour du « capitalism­e scopique » , qui impose une valeur marchande au corps, supposant investisse­ment et devant subir l’évaluation visuelle immédiate, institutio­nnalisée notamment par Tinder, ce qui fait des premières rencontres de véritables « entretiens d’évaluation » . Et il y a, comme partout, les exclus et perdants du système, comme dans Extension du domaine de la lutte de Houellebec­q… Voilà ce que l’on peut retenir de cette étude sur ce « nouveau » nouveaudés­ordre amoureux…

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