Au nom du pardon

★★★★☆ LE PARJURE ET LE PARDON, VOL. 1. SÉMINAIRE (1997-1998) PAR JACQUES DERRIDA, 432 P., SEUIL, 26 €

P «ardon », ce petit mot que vous utilisez en entrant dans le métro ou l’ascenseur est une énigme. Si pardonner n’est pas excuser, oublier, encore moins effacer, qu’est-il ? Peut- on demander pardon pour un autre ? Pardonner celui qui ne le demande pas ? En 1997, Jacques Derrida ouvrait un séminaire de deux ans sur cette énigme, en écho à une « pardonite » aiguë qui saisissait les États et les Églises. De la France au Rwanda, tout le monde demandait pardon. Mais l’actualité du séminaire « Le parjure et le pardon » a aujourd’hui changé : il interroge notre présent devenu sans merci. Les réseaux sociaux sont des tribunaux qui ignorent les circonstances atténuantes et l’opinion poursuit les coupables même une fois leur peine purgée. Au siècle précédent, le refus du pardon n’avait qu’un unique lieu : la Shoah. Horreur qu’affronte Derrida en ouverture du séminaire. Depuis, le champ de l’impardonnable n’a cessé de s’étendre, aussi vaste que notre indignation.

Dans des pages lumineuses, le philosophe rappelle que l’objet du pardon est justement l’impardonnable. Au-delà de tout calcul, le pardon dépasse la politique et parachève la justice. Derrida creuse le langage pour éclairer cet acte impossible et sublime qui disparaît de notre horizon culturel. Ses guides sont Jankélévitch, Kafka, Augustin et surtout Le Marchand de Venise de Shakespeare, dont il livre une bouleversante analyse.