« Le français n’a jamais été autant parlé dans le monde »
En 2050, le monde comptera 800 millions de locuteurs français. Dans son ouvrage édifiant, Guerre des langues, le journaliste Frédéric Pennel explique le combat mené par le français pour s’imposer dans l’Hexagone et dans le monde. Entretien.
De quoi « la guerre des langues » est-elle le nom ?
• Frédéric Pennel. Elle est le nom d’une intense rivalité linguistique, trop souvent négligée. Au sein même des États, des politiques linguistiques visent à étouffer certaines langues ou, au contraire, à en sauver, tel le gaélique en Irlande. Cette guerre s’immisce aussi en géopolitique où des puissances, même alliées, cherchent à faire rayonner leur culture. Des esprits pacifiques ont imaginé des langues artificielles et universelles. L’espéranto a failli devenir langue co-officielle de la SDN dans les années 1920. Y voyant une menace pour sa langue, alors prestigieuse, c’est la France qui lui met son veto. Mais Paris se trompait de cible : la menace viendra de l’anglais.
Comment le français a-t-il gagné, puis perdu cette guerre à travers l’Histoire ?
• F.P. En France d’abord, le français a déjà gagné la guerre. L’État jacobin a longtemps combattu les langues régionales, qui ont considérablement reculé. En Europe ensuite, il a longtemps joui d’une place prééminente. Pour une raison simple : jusqu’au xix e siècle, la France était le pays le plus peuplé du continent. Quand il a perdu cet atout numérique et sa prééminence géostratégique, le rayonnement de sa culture a atténué un temps le déclassement de sa langue. Ce sont les conflits mondiaux qui renverseront la table linguistique.
Vous avez voyagé au Liban, au Maghreb, en Afrique francophone, en Belgique. Quel pays ou région vous a le plus marqué ?
• F.P. Peut-être le Liban. J’y ai senti une francophonie fragile mais intense, 38 % de ses six millions d’habitants parlent français : elle pèse peu sur un plan numérique. Mais sa diaspora est si volubile que les Libanais créent nombre de synergies avec d’autres cultures francophones, dans les Caraïbes, au Québec, en Europe, en Afrique subsaharienne. Au salon du livre de Beyrouth, le troisième du monde francophone après Paris et Montréal, j’ai rencontré d’ardents passionnés qui se battent pour que le français et sa culture ne disparaissent pas de la région. L’OrientLe Jour est le seul quotidien francophone à des milliers de kilomètres à la ronde ! Face à leur engagement, j’ai compris qu’en France nous étions bien tièdes sur la question.
Pourquoi les Français ne se sentent-ils pas francophones ?
• F.P. D’abord parce qu’ils regardent ailleurs. Vers l’Europe et vers l’Amérique par exemple, plus que vers les pays francophones. Ensuite, parce que les Français se positionnent au centre de la langue française, même si c’est de moins en moins le cas. Alain Mabanckou s’agace du terme « écrivain francophone » alors qu’on ne dira pas cela de Houellebecq. Cependant, ce sentiment d’appartenance progresse. En librairie, la distinction entre « littérature française » et « littérature francophone » s’estompe.
Comment va le français aujourd’hui ?
• F.P. N’en déplaise aux déclinistes, le français se porte bien ! Il n’a jamais été aussi parlé dans le monde. Et au-delà du nombre de locuteurs, il suscite une littérature dans une multitude de pays, c’est donc une vraie langue internationale de culture.
Comment ira-t-il demain ?
• F. P. L’issue de cette guerre des langues est souvent imprévisible. De toute évidence, le français devait disparaître au Québec et le néerlandais était bien à la peine en Belgique au début du xx e siècle. Mais il n’en a rien été car les peuples ont relevé la tête. Quant au mandarin, va-t-il conquérir le monde ? Il est évidemment très parlé, mais surtout en Chine. Il est aussi très complexe. Ce qui est sûr, c’est que les francophones doivent maîtriser des langues étrangères, mais ils doivent aussi se montrer courageux et oser parler français dans les institutions internationales et le domaine économique. Il y va de la diversité du monde face à l’uniformité.
★★★★☆
GUERRE DES LANGUES.
LE FRANÇAIS N’A PAS DIT SON DERNIER MOT PAR FRÉDÉRIC PENNEL,
292 P., FRANÇOIS BOURIN, 20 €