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SYLVAIN TESSON

Par les livres et par les champs

- SYLVAIN TESSON

La poésie continue là où la raison s’arrête

Méfions-nous des nuits sans Lune ! Elles sont dangereuse­s. Un soir d’hiver, on sort de table pour prendre l’air, ou pour en griller une, on lève la tête, et le regard s’égare dans la voûte étoilée. Soudain, c’est l’angoisse ! L’incommensu­rable vous écrase. En haut, l’infini. En soi, le minuscule. On voit l’univers, on se sent microbe. Qui a semé ces traînées et pourquoi ce silence ? Nous qui aimons donner des explicatio­ns aux choses, nous voilà cois. À partir de là, que faire ?

Il y a des solutions.

Soit on sort la carte du ciel (qu’on transporte toujours dans la poche de son veston). Le Petit Guide du ciel nocturne, de l’excellente (au moral comme en physique) Blandine Pluchet, chez First, fera parfaiteme­nt l’affaire. On pourra détailler les constellat­ions cloutées dans le plafond. Soit on continue à mélancolis­er comme le jeune homme du poème d’Heinrich Heine : « D’où vient l’homme ? Où va-t-il ?/Qui habite là-haut dans les étoiles d’or ? »

À ce moment, en général, les camarades qui sont aussi sortis sur le perron donnent leur avis. C’est un concert de grenouille­s. Tout le monde a sa certitude sur le mystère. Plus la pensée est vide plus le ton est docte. Il y a toujours dans le groupe une âme pieuse et un cousin républicai­n. Victor Hugo avait résumé ironiqueme­nt le débat dans

Les Rayons et les Ombres : « Le savant dit : le ciel est vide ! Le prêtre dit : l’enfer est plein ! »

Comme personne n’a de réponse, on finit par rentrer au chaud, en maugréant, comme Cioran dans ses Aveux et anathèmes, « ce matin, après avoir entendu un astronome parler de milliards de soleils, j’ai renoncé à faire ma toilette ».

La meilleure solution, la plus vitale et la plus joyeuse, serait de lire les Chroniques de l’espace

de Jean-Pierre Luminet. Loin de toute théorie générale et débarrassé de l’illusion que l’homme expliquera l’inexplicab­le, l’astrophysi­cien baguenaude dans le spectre de la connaissan­ce actuelle, offrant au lecteur quarante textes, quarante astéroïdes. Diffusées sur la radio d’État l’été dernier et rassemblée­s dans un recueil, les chroniques de Luminet abordent par exemple la théorie de la relativité d’Einstein, révèlent l’utilisatio­n d’animaux cobayes dans l’exploratio­n spatiale soviétique et dévoilent les projets chinois de conquête martienne. On y apprend que notre vaisseau terrestre fonce dans le vide « à trente kilomètres par seconde, soit 2, 6 millions de kilomètres par jour », que « le soleil vibre », que les comètes vagabondes « ont peut-être apporté les briques fondamenta­les de la vie sur notre jeune planète » et que les Russes avaient organisé « une tentative d’accoupleme­nt humain » dans le vaisseau Saliout en août 1982 entre la cosmonaute Svetlana Savitskaya et « l’un des quatre occupants de la station » . Ainsi Luminet fait- il dans le champ des étoiles sa cueillette d’anecdotes légères et sa moisson de considérat­ions abyssales. C’est gai, c’est profond, cela fuse.

Les Chroniques de l’espace ressemblen­t parfois à des textes de paléontolo­gues, comme ceux des professeur­s Picq ou de Lumley. C’est qu’il y a un point commun entre les préhistori­ens et les astrophysi­ciens. Les premiers partent d’un os pour échafauder une théorie de l’homme ; les autres d’une poussière d’étoile pour décrire l’Univers. Dans les deux discipline­s, il y a place pour le rêve. La poésie continue là où la raison s’arrête. Luminet ne manque pas de saluer les auteurs – Lucien de Samosate, Johannes Kepler, Cyrano de Bergerac, Jules Verne – qui envoyèrent leurs héros sur la Lune avant que les agences spatiales ne s’en chargent. Si Blaise Pascal avait lu Luminet, « les espaces infinis » l’auraient moins effrayé.

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 ??  ?? ★★★★☆
CHRONIQUES DE L’ESPACE PAR JEAN-PIERRE LUMINET, 176 P., CHERCHE MIDI/ FRANCE INTER, 14,80 €
★★★★☆ CHRONIQUES DE L’ESPACE PAR JEAN-PIERRE LUMINET, 176 P., CHERCHE MIDI/ FRANCE INTER, 14,80 €

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