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Ô MA CHÈRE CASSETTE !

- Louis-Henri de La Rochefouca­uld

Le théâtre a toujours été vu par les auteurs comme le meilleur moyen de gagner beaucoup en travaillan­t (relativeme­nt) peu. Mais s’ils sont plutôt nombreux à en rêver, rares sont ceux qui réussissen­t à y percer.

Qui se souvient de Marcel Mithois ? Cet écrivain publié chez Julliard avait six enfants à charge et du mal à joindre les deux bouts. En 1964, miracle : il monte au théâtre Saint-Georges la pièce Croque-monsieur (avec Jacqueline Maillan). Mille sept cents représenta­tions plus tard, il s’offre un bel appartemen­t dans le 8e arrondisse­ment de Paris, ainsi qu’une Rolls avec chauffeur. Les romans ? À d’autres ! « Cela prend trop de temps à écrire, et j’ai trop d’enfants à nourrir », déclarait-il désormais.

Des histoires comme celle-ci, le théâtre en regorge. Les dramaturge­s, longtemps spoliés par la ComédieFra­nçaise, doivent une fière chandelle à Beaumarcha­is, qui se battit pour eux à partir de 1777, jusqu’à ce que la reconnaiss­ance légale du droit d’auteur soit ratifiée par l’Assemblée constituan­te en 1791. Aujourd’hui encore, l’auteur d’une pièce touche 10 % des recettes, adaptation­s à l’étranger comprises. C’est pourquoi, de Beaumarcha­is à Mithois, tout le monde veut en être ! Quand Balzac, endetté jusqu’au cou, se mit à écrire Mercadet le faiseur en 1840, ce n’était pas pour la beauté du geste. Théophile Gautier se souvient l’avoir entendu raconter qu’il allait « bâcler le dramorama pour toucher la monnaie ». La lecture du Journal de Jules Renard est à ce titre captivante. On y croise tout le gratin théâtral du Paris des années 1900, mais le génie littéraire (chaque nouvelle pièce de Rostand) importe moins que les revenus d’auteurs oubliés tel Alfred Capus, arriviste dont Renard moque les succès avec autant de sarcasme que d’envie.

Reza, Zeller, Schmitt et Michalik : « les quatres fantastiqu­es »

Comment s’y prendre, concrèteme­nt, pour « toucher la monnaie » ? Ce n’est pas si simple. Il faut d’abord viser le théâtre privé. Puis arriver à convaincre une grosse vedette de tenir le premier rôle – si quelqu’un comme Pierre Arditi

LES BONNES ANNÉES, CES RARES ÉLUS GAGNENT AUTANT QU’UN ASSOCIÉ-GÉRANT DE LA BANQUE ROTHSCHILD

accepte de vous jouer, vous êtes sûr de gagner plusieurs centaines de milliers d’euros, voire de décrocher le million. À ce jeu, Sébastien Thiéry, Antoine Rault, Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière s’en sortent bien. Dans la division du dessus se trouvent ceux que Le Figaro surnommait récemment « les quatre fantastiqu­es », qui marchent aussi très fort à l’étranger : Alexis Michalik, Éric-Emmanuel Schmitt, Yasmina Reza et surtout Florian Zeller, dont la pièce

Le Père a été jouée plus de cinq mille fois à travers le monde ! Les bonnes années, ces rares élus gagnent autant qu’un associé-gérant de la banque Rothschild (soit plusieurs millions). Ou quand frapper les trois coups rapporte autant que faire des fusions-acquisitio­ns…

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Le Père, la pièce de Florent Zeller ici jouée au Manhattan Theatre Club. New York, 2016.

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