La poésie pour réparer les vivants
De plus en plus de médecins américains envoient des poèmes aux revues médicales, manière pour eux de penser – et panser – leur expérience et celle des patients.
En mars, le Los Angeles Times publiait un reportage sur l’engouement des médecins américains pour la poésie. Il faut dire que la Californie était loin des 20 000 cas de coronavirus dénombrés début avril. Pourtant, loin d’être anachronique, l’article soulève des questions essentielles à propos de ce métier, en cette période de pandémie : comment vivre normalement quand on encaisse chaque jour autant de détresse, d’urgences ?
Comment rester humain quand les patients et leurs familles nous attribuent le pouvoir divin de conjurer la mort ? Ces interrogations sont au coeur des poèmes que des centaines de médecins, infirmiers et autres soignants soumettent chaque année aux revues médicales américaines, convaincus que « la poésie est le meilleur moyen de saisir la fragilité, la ténacité et l’universalité de l’expérience humaine » . Le Los Angeles Times rappelle que l’histoire littéraire compte de
nombreux médecins-poètes, de John Keats à William Carlos Williams. Le docteur Rafael Campo, de l’école de médecine de Harvard, est chef de la rubrique poésie du prestigieux Journal of the American Medical Association ( JAMA). Selon lui, la section poésie est l’une des plus lues de la revue, qui reçoit 200 poèmes par mois, et n’en publie qu’un par numéro.
Les textes choisis racontent la nuit passée à surveiller un patient au pronostic vital engagé ; ils offrent aux médecins un lieu où exprimer leur sensibilité quand l’organisation même de l’hôpital pousse à agir comme un robot ; enfin, ils permettent d’accepter que l’on n’ait pas toujours une réponse médicale à la maladie. Persuadés que les poèmes aident aussi bien le soignant que le patient, certains chefs de service intègrent la lecture et l’écriture de ceux-ci dans la formation proposée aux internes. « Quand un traitement n’est pas possible, quand on sait qu’il n’y aura pas un autre cycle de chimiothérapie, qu’avons-nous à offrir à nos patients ? Notre humanité », conclut le docteur Rafael Campo.