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DE L’ART D’ESPÉRER À TRAVERS LES ÂGES

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Comment cette notion, si nécessaire semble-t-il au genre humain, a-t-elle été abordée et comprise aux différente­s époques de l’Histoire ? Faut-il la considérer comme un bien ou au contraire comme un mal ? De l’expectativ­e à l’attente, en passant par l’espérance, le concept n’a eu de cesse d’évoluer, faisant couler l’encre de nombreux philosophe­s, hommes d’Église et autres penseurs.

mort, « les biens les plus grands », une fois l’âme séparée du corps. L’espérance du philosophe, c’est d’être encore plus philosophe dans l’au-delà qu’il ne l’a été ici- bas, car la mort accomplit ce qu’il a cherché toute sa vie : penser hors de son corps. L’espérance n’est pas tant une projection dans l’avenir que l’évidence d’un retour fondamenta­l, une fois refermée la parenthèse de l’existence charnelle.

Pour que l’espoir déploie toutes ses puissances, il fallut que l’histoire des hommes cesse d’avoir la rondeur parfaite du cosmos et s’étende d’un point à un autre. À la vision cyclique de l’histoire grecque, on a souvent opposé celle, linéaire, de l’histoire judéo-chrétienne, scandée par des événements qui déchirent et emportent son cours naturel. Une histoire faite de bruit et de fureur, mais orientée par la promesse de Dieu faite à son peuple : promesse d’une terre et d’un sauveur. Si l’opposition est à nuancer, l’histoire biblique dessine à coups d’éclairs un autre style d’existence. « Vivre, c’est attendre » , résumera Lamartine. Loin de la sérénité philosophi­que, l’attente devient l’expérience même du temps,

un temps « entre les temps », suspendu entre l’annonce du salut et sa réalisatio­n. Si la Bible grecque traduisit l’espoir par elpis, le terme hébreu est tiqvah, qui désigne la corde tendue entre aujourd’hui et demain.

La promesse du paradis sur Terre

Ce temps à la fois linéaire et tendu par la promesse rendit possible l’idée de progrès avec, à l’horizon, le paradis sur la Terre. Car il ne s’agit pas seulement pour la Bible de penser une fin de l’histoire, mais une fin dans l’histoire. Telle est l’annonce audacieuse d’un règne de bonheur précédant le jugement final, affirmé dès le Livre d’Isaïe dans la Bible hébraïque. Le christiani­sme reprit cette tradition en l’appliquant au règne du Christ. Placé à la toute fin du Nouveau Testament, le Livre de l’Apocalypse offrit à l’Occident les visions qui façonnèren­t ses grandes philosophi­es de l’Histoire jusqu’à Karl Marx et l’avènement d’une société sans classes. Une ère nouvelle arrive où Satan sera enchaîné. La pensée millénaris­te – ainsi nommée car la durée traditionn­elle du règne était mille ans – imposa une conviction : l’humanité passe par des âges successifs.

Au xii siècle, le moine calabrais Joachim de Flore proposa un découpage de l’histoire du monde en trois temps : temps du Père (avant JésusChris­t), temps du Fils ( le nôtre, peu ou prou), temps de l’Esprit (celui des moines, qui devait s’accomplir en 1260). Même si rien de particulie­r ne se passa en 1260, sa postérité fut immense. La pensée de Joachim porta Christophe Colomb et Tommaso Campanella dans leurs expédition­s, inspira les Franciscai­ns dans leur évangélisa­tion

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