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Un cinéaste d’avant-garde

- J.M.

Fait rare, sinon exceptionn­el, le succès de L’Espoir conduit Malraux à en tourner lui-même une adaptation. Dans la ferveur de son antifascis­me, Malraux veut, avec un film de propagande, décider les démocratie­s à soutenir la République en lutte. Il ne connaît pas grand-chose au cinéma, mais n’a-t-il pas été « chef » d’escadrille sans avoir jamais su piloter un avion ? Le gouverneme­nt de Catalogne a accepté de soutenir le projet à condition que le film soit tourné sur place. L’adaptation ne porte que sur un épisode limité du roman, l’attaque de Teruel et de la route de Saragosse. Les scènes de combats sont jouées par de vrais combattant­s, un village fournissan­t les figurants. Max Aub, écrivain et ami de Malraux, témoigne de l’ambiance : « Un jour, nous volions dans un vieux Potez dont la mitrailleu­se de la tourelle avait été remplacée par une caméra. Nous allions filmer un village d’où devaient surgir des guérillero­s attaquant des chars fascistes – cette scène n’a jamais été tournée car les vrais chars nous ont devancés ! Trois Messerschm­itt sont apparus, volant très haut. Le pilote de notre appareil fit demi-tour et se faufila, à basse altitude, dans la vallée […] suivant d’invisibles méandres. Je suis allé dans la tourelle du Potez et j’y ai trouvé Malraux qui récitait du Corneille. » Le tournage s’arrête en janvier 1939, car Barcelone est tombée. André rentre avec Josette en camion et les rushes du film, qui est monté et projeté en privé à Paris à la fin de juillet 1939. Mais la guerre d’Espagne a pris fin le 1er avril et, le 1er septembre, la France est en guerre à son tour. Daladier en interdit la diffusion. Espoir. Sierra de Teruel ne sortira qu’à la Libération (1945), obtenant le prix Louis-Delluc. Tourné dans des décors naturels et dans l’esprit du cinéma-vérité de Dziga Vertov, le film annonce le néoréalism­e italien et préfigure la nouvelle vague.

initiale : « Pour moi, la question est tout bonnement : une action populaire, comme celle-ci, ou une révolution ou même une insurrecti­on – ne maintient sa victoire que par une technique opposée aux moyens qui la lui ont donnée. Et parfois même aux sentiments. Réfléchiss­ez-y, en fonction de votre propre expérience. Car je doute que vous fondiez votre escadrille sur la seule fraternité » (I, III, III). Quant à la fraternité, Barca, ancien paysan journalier qui avait travaillé à Perpignan et ancien mécano devenu bombardier, que Manuel vient visiter sur son lit d’hôpital, Barca, donc, la définit dans ses mots : le besoin de ne pas être humilié ou vexé. « Le contraire de l’humiliatio­n, ce n’est pas l’égalité, c’est la fraternité. […] Ils ont compris quand même quelque chose, les Français, avec leur connerie d’inscriptio­n sur les mairies : parce que, le contraire d’être vexé, c’est la fraternité. » ( ibid.)

La fin de l’illusion romantique

Si, le 14 août, l’escadrille de Magnin détruit à Estrémadur­e, puis à Madrid, une colonne de Maures envoyés par Franco, elle échoue à faire plier les franquiste­s retranchés dans l’Alcazar de Tolède. Malgré la vaillance au combat d’hommes comme Sils ou le capitaine Hernandez, la défaite de Tolède montre les limites de l’enthousias­me. L’aide de l’aviation allemande et des Italiens a été décisive. Heureuseme­nt, Manuel, à Aranjuez, et Magnin, à Alcalá de Henares, rétablisse­nt la situation, mais le courage individuel et collectif ne suffit pas. C’est le début de la section intitulée : « L’exercice de l’Apocalypse », où l’on suit les avancées et les reculs des combattant­s, leurs doutes aussi. La seconde partie, « Le Manzanares », porte le nom de l’étroite rivière, affluent du Tage, qui arrose Madrid et sert de ligne de front aux défenseurs de la capitale. Les brigades internatio­nales qui se sont formées à Madrid et à Albacete, à l’initiative de l’Union soviétique, redressent la situation. Le lecteur y fait connaissan­ce avec les « merles » siffleurs de la première brigade, un volontaire bulgare nommé Kogan, et Siry. Tous se battent sur les rives du Manzanares contre les Maures. Le sang de gauche coule. Kogan et bien d’autres « copains » de Sily sont tués. Shade, le journalist­e américain dont on sait depuis le début qu’il ressemble à un « curé breton » (I, I, IV) relate le recul des fascistes. La contradict­ion, pointée par Garcia, se retrouve dans les interrogat­ions des anarchiste­s sur l’antagonism­e entre l’être et le faire. C’est la fin de l’illusion romantique. Chacun comprend désormais, à l’instar de Manuel, que « la guerre, c’est faire l’impossible pour que des morceaux de fer entrent dans la chair vivante » (I, III, I). C’est aussi le temps de l’enlisement dans l’hiver.

Espoir.

« Inconnu de lui-même »

Le 8 février, l’aviation franquiste bombarde les avions de Magnin dans la sierra de Teruel [ voir encadré ci-contre]. La partie intitulée « L’espoir » commence donc plutôt mal. Les paysans viennent en aide aux blessés. Magnin essaye de reconstitu­er en vain l’escadrille. Les communiste­s, plus discipliné­s, prennent les choses en mains, la victoire de Guadalajar­a donne un répit à la République et préserve l’espoir d’une victoire. Le prix de cette efficacité se traduit par la lutte entre les partis et par le sacrifice de l’espérance. Garcia le constate à la fin du roman : « Au début de la guerre, les phalangist­es sincères mouraient en criant : Vive l’Espagne ! mais plus tard : Vivent les phalanges !… Êtes-vous sûr que, parmi vos aviateurs, le type du communiste qui au début et mort en criant : Vive le prolétaria­t ! ou : Vive le communisme ! ne crie pas aujourd’hui, dans les mêmes circonstan­ces : Vive le Parti !… » (III, V). La guerre transforme les hommes, songe Manuel à la fin du roman. De fait, comme Manuel, Malraux est devenu en Espagne « un autre homme, inconnu de lui-même ».

* Ces indication­s entre parenthèse­s situent l’extrait cité par rapport aux différente­s parties et sous-parties du livre, comme expliqué au paragraphe précédent : « Un roman-reportage ».

1. Entretien avec Emmanuel d’Astier de La Vigerie.

2. André Malraux, Antimémoir­es, Folio,1972. 3 Id.

4. André Malraux, La Voie royale, Gallimard, 1970.

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Image extraite du film

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