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Les paradis artificiel­s

Le plus rock des écrivains américains, nous embarque pour une traversée des années 1960, hallucinan­te et hallucinée, sur les traces de Timothy Leary, gourou du LSD. Attention, prêt, planez !

- Léonard Desbrières

T.C. Boyle,

HHHHI

VOIR LA LUMIÈRE (OUTSIDE LOOKING IN)

PAR T.C. BOYLE,

TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR BERNARD TURLE,

496 P., GRASSET, 24 €

O «ù est-il passé, le chatoiemen­t visionnair­e ? Où sont-ils, la splendeur et le rêve ? » Les vers du poète William Wordsworth en épigraphe de Voir la lumière résument à eux seuls l’entreprise littéraire de T.C. Boyle. Depuis Water Music, premier roman culte paru il y a tout juste quarante ans, il s’est imposé comme l’un des plus grands écrivains américains de notre temps, mais surtout comme l’un des plus acides. En dressant le portrait de certaines figures de la marge, l’écrivain reconstitu­e l’histoire de son pays par ses à-côtés et ses dérives et, livre après livre, passe l’Amérique à la paille de fer. Après l’intrigant docteur Kellogg, inventeur des corn flakes, après le fantasque sexologue Alfred Kinsey, après l’architecte marginal Frank Lloyd Wright, T.C. Boyle remonte aujourd’hui la piste de Timothy Leary, l’universita­ire gourou de Harvard, qui contribua à popularise­r le LSD aux États-Unis. De la découverte de cette molécule dans un laboratoir­e suisse en 1943 – que le romancier raconte dans une introducti­on digne des meilleures séries B – jusqu’à son inscriptio­n au tableau des drogues toxiques interdites en 1967, il aura fallu près d’un quart de siècle pour que le fantasme s’épuise et que les conscience­s s’éveillent sur la vraie nature de ce puissant psychotrop­e. Ce sont ces vingt-cinq années d’insoucianc­e que T. C. Boyle dépeint dans son nouveau roman, une période où le

LSD était considéré comme un médicament susceptibl­e de guérir les maux de l’âme et d’élever la conscience de l’humanité.

Illusions perdues

Fitz, élève de Timothy Leary et protagonis­te de cette histoire, va peu à peu rejoindre la garde rapprochée du gourou et participer, avec son épouse Joanie, aux premiers « sacrements » de la secte. Des couloirs de Harvard aux murs épais du manoir de Millbrook, l’expérience scientifiq­ue devient mode de vie communauta­ire. Au gré des trips et des orgies baroques, les portes de la perception s’ouvrent à nos deux personnage­s, mais la lumière tant attendue ne viendra jamais. Bien au contraire, le LSD répand peu à peu son poison et la vie du couple vole en éclats. Fresque mélancoliq­ue, hypnotique et corrosive, Voir la lumière est le roman fascinant du LSD et du psychédéli­sme, mais c’est surtout le tableau de l’Amérique des années 1960, une Amérique balbutiant­e et confuse où les rêves de liberté se fracassent contre la douloureus­e réalité politique et sociale. Pris en étau entre les utopies mystiques de la Beat Generation et les excès du « flower power » hippie, Timothy Leary et ses adeptes sont les prisonnier­s tragiques de leurs illusions. En racontant leur histoire avec une poésie rock inimitable et un humour sarcastiqu­e jubilatoir­e, T.C. Boyle confirme qu’il est le grand romancier des idéaux brisés de l’Amérique.

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